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Lutte intégrée

Jouer la carte du biocontrôle


TNC le 19/02/2020 à 18:04
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D'ici 2030, « nous voulons passer en dix ans le cap des 30 % du marché des pesticides et couvrir la majorité des usages en biocontrôle », présente Denis Longevialle, secrétaire général d’IBMA France. (©Fotolia/Olena Mykhaylova)

Pour la troisième année consécutive, le marché du biocontrôle enregistre en France une croissance à deux chiffres. Ce développement est parfois contraint par la disparition des pesticides de synthèse pour certains usages. En grandes cultures, rares sont les solutions naturelles ayant réellement fait leurs preuves. Si les champs d’innovation restant à explorer sont source d’optimisme, la perspective du 100 % biocontrôle demeure lointaine. La décennie 2020-2030 sera décisive pour transformer l’essai.

La publication par le gouvernement en janvier des statistiques de vente des produits phytosanitaires en France en 2018 indique que les produits de biocontrôle, à risque faible, représentent 24 % de la quantité de substances actives (QSA), soit + 20 % en un an. Il s’agit d’agents et produits utilisant des mécanismes naturels dans le cadre de la lutte intégrée contre les ennemis des cultures. […] D’après une enquête de l’association IBMA auprès de 542 agriculteurs en 2018, l’usage des produits de biocontrôle est plus répandu dans les cultures spécialisées qu’en grandes cultures. Ainsi, 34 % seulement des céréaliers déclarent en utiliser, contre 57 % des vignerons ou 84 % des maraîchers.

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[…] L’outil le plus utilisé est le phosphate ferrique contre les limaces. Il serait aujourd’hui employé sur 300 000 ha, soit 10 % des surfaces traitées contre ce ravageur. D’après Arvalis-Institut du végétal, l’adoption de ce produit s’explique par une efficacité et un coût similaires à la solution conventionnelle (hors génériques), le même matériel et la même technique d’application. Dans le cadre d’une protection intégrée, l’institut souligne l’intérêt du piégeage pour évaluer la pression du ravageur, ainsi que des leviers agronomiques préventifs (travail du sol, rotation).

Des résultats modestes

Deuxième solution de biocontrôle la plus répandue à ce jour en grandes cultures : le soufre contre la septoriose des céréales, principalement le blé. 300 000 ha seraient déjà concernés et « cela va se développer avec le retrait du chlorothalonil », d’après Claude Maumené, chargé de mission biocontrôle chez Arvalis-Institut du végétal. Les essais de l’institut montrent que le soufre peut remplacer 50 % du fongicide de synthèse utilisé en T1, voire jusqu’à 100 % en combinant des solutions génétiques. Il est économique ; son inconvénient réside dans le volume de dosage (3 kg ou 3 L/ha). « Trois des cinq millions d’hectares de blé reçoivent un T1, souligne Claude Maumené. Notre message est aussi d’essayer de s’en passer quand cela est possible, à l’aide de variétés résistantes et en fonction du contexte agronomique. Quant au T2, il est plus stratégique et la substitution moins évidente. »

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La piste du soufre est également étudiée par Terres Inovia dans la lutte contre le sclérotinia sur colza. Le taux d’efficacité serait de l’ordre de 30 %. Contre la septoriose, Arvalis-Institut du végétal a par ailleurs étudié le Vacciplant de Goëmar, stimulateur des défenses des plantes. « Nos résultats sont modestes et notre position prudente, avoue Claude Maumené. À ce jour, nous n’avons pas de mode d’emploi garantissant la protection. » Par ailleurs, une perspective intéressante se dessine avec les phosphonates de potassium et de sodium utilisés contre le mildiou de la vigne. À la fois fongicides et stimulateurs de défenses, leur action contre la septoriose n’est pas neutre. Combinés au soufre, ils pourraient constituer une solution à part entière pour le T1. Une autorisation de mise sur le marché (AMM) est attendue au plus tôt en 2021.

Témoignage de Baptiste Lebreton, directeur technique  de la coopérative La Tricherie dans la Vienne

« Nous utilisons le biocontrôle sur 6 000 de nos 20 000 ha de SAU. L’intégralité de nos blés est valorisée en filières, dont 70 % en CRC. C’est via cette démarche que nous avons initié la dynamique voici six ans. D’abord avec Vacciplant contre la septoriose, mais nous avons eu quelques déboires au début. Le biocontrôle seul en environnement hostile ne fonctionne pas, il faut aussi recourir aux variétés rustiques, à l’agronomie et à la nutrition. Sur blé, nous employons également l’Héliosoufre en T1, cela permet de réduire de 30 à 100 % le fongicide de synthèse. Il ne faut pas être sectaire dans les pratiques ni faire de surpromesse à propos du biocontrôle. Il manque de solutions performantes.

Toutefois, les rendements et la qualité en blé sont aujourd’hui au rendez-vous sans surcoût. Désormais, 54 % de nos T1 en blé comprennent du biocontrôle, 60 % de nos colzas reçoivent du Ballad contre le sclérotinia avec un IFT réduit de 50 %, et un hectare de maïs sur deux est couvert par les trichogrammes ou le Dipel DF. En 2019, 34 de nos 280 adhérents étaient déjà certifiés HVE de niveau 3, et 80 autres sont candidats en 2020. Nous valorisons les blés CRC issus des exploitations HVE à 200 €/t. La demande de nos clients, c’est la demande de la société. L’objectif est de la concilier avec la réalité économique des agriculteurs. »

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Fongicide de synthèse en appui

En matière de biocontrôle contre les maladies des céréales, les priorités d’Arvalis-Institut du végétal comprennent aussi la fusariose. Autorisées sur le marché, les pistes du Polyversum (Pythium oligandrum, champignon du sol) et de l’Échiquier (bicarbonate de potassium) sont étudiées, mais leurs efficacités restent limitées pour le moment. « Pour tous les actifs testés, nous regardons aussi l’effet sur les rouilles, précise Claude Maumené. Contre le sclérotinia sur colza, Terres Inovia s’intéresse aussi à Polyversum. « Un coup de pouce d’une demi-dose de fongicide conventionnel est quand même nécessaire, reconnaît Annette Penaud, chargée d’études protection des cultures. C’est le cas aussi avec Ballad, à base de Bacillus pumilus, et Rhapsody, à base de Bacillus subtilis. »

Davantage utilisée en cultures légumières, la solution actuellement la plus efficace (40-50 %) contre le sclérotinia du colza est le champignon Coniothyrium minitans (Contans WG) appliqué avant le semis. En 2019, suite au retrait du thirame, les premiers semis de colza réalisés avec un traitement de semences classé « biocontrôle » ont eu lieu. À base de Bacillus amyloliquefaciens, Intégral Pro revendique une action contre le phoma et un effet de stimulation des défenses du colza pour plus de robustesse vis-à-vis des altises (des effets « non démontrés » dans les essais de Terres Inovia). « La voie génétique semble plus prometteuse contre le phoma, et peut-être un jour contre le sclérotinia, prédit Annette Penaud. C’est par ce moyen que le tournesol peut aujourd’hui se passer de traitement contre le sclérotinia et le phomopsis. »

« La génétique, un espoir »

La troisième solution de biocontrôle employée de façon significative en grandes cultures repose sur les trichogrammes, microguêpes pondant leurs œufs dans ceux de la pyrale du maïs, compromettant ainsi la viabilité des larves. Cette technique dont l’efficacité est reconnue couvre aujourd’hui 23 % des surfaces traitées, soit entre 110 000 et 140 000 ha. Son inconvénient est le temps passé à accrocher à la main les supports contenant les œufs de trichogrammes. Toutefois, de nouveaux modes d’application apparaissent, tels que le drone ou l’épandeur à capsules. « En revanche, ni les trichogrammes, ni le Bacillus thuringiensis du DiPel DF utilisé en pulvérisation ne sont efficaces contre la sésamie, constate Jean-Baptiste Thibord, responsable du pôle ravageurs d’Arvalis-Institut du végétal. Avec 50 à 55 % d’efficacité contre cet insecte, le Success 4 à base de spinosad, une substance naturelle produite par une bactérie du sol, est intéressant mais pas utilisé, car trop coûteux. On retrouve cette matière active dans le Success GR employé contre le taupin, mais son efficacité est insuffisante. »

Témoignage de Julien Viaud, polyculteur-éleveur dans le Maine-et-Loire, qui utilise des trichogrammes contre la pyrale depuis 3 ans dans 60 ha de maïs

« Outre la perte de rendement, les dégâts de pyrale entraînaient des problèmes qualitatifs dans l’ensilage. Des analyses ont notamment révélé des taux élevés de mycotoxines. Nous utilisons le service Trichopilot proposé par Terrena pour environ 40 €/ha. Grâce à son réseau de piégeage, la coopérative nous alerte par SMS de la date du vol. Il faut poser les plaquettes d’œufs de trichogrammes manuellement avant le vol, c’est la contrainte. Cela demande  une journée à six personnes au cours du mois de juin. L’efficacité n’est pas de 100 % mais les pieds de maïs cassés sont fortement réduits et, chez les vaches, nous n’avons plus de problèmes sanitaires causés par l’ensilage.

Du côté des ravageurs des céréales à paille, aucune solution de biocontrôle n’est encore identifiée contre les pucerons et les cicadelles vecteurs de viroses, ni contre la cécidomyie. « Nous testons des pistes en nous inspirant notamment de ce qui existe en cultures spécialisées, explique Jean-Baptiste  Thibord. La génétique constitue aussi un espoir. Plusieurs variétés d’orges sont tolérantes aux viroses, mais elles sont peu acceptées en brasserie. En blé, tout reste à faire ! » Depuis 2018, le projet ABCD B (Arvalis-Institut du végétal, Inra, Terres Inovia, ITB) cherche à évaluer les solutions génétiques et de biocontrôle contre les viroses transmises par les pucerons en céréales à paille, colza et betterave.

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Sorgholéone : un potentiel herbicide

Si certaines solutions de biocontrôle apparaissent déjà comme une réalité sur le terrain, la route est encore longue avant une généralisation dans le secteur des grandes cultures. Ainsi, aucun substitut crédible n’existe pour les herbicides alors qu’ils représentent la moitié des usages de pesticides en France. Un projet associant l’Inra, l’Iteipmai4 et la société Plant Advanced Technologies (PAT) vient d’ailleurs d’être lancé afin de découvrir de nouveaux bio-herbicides. « Nous partons de zéro, déclare Thomas Regnault, responsable projet recherche-développement chez PAT. Notre objectif est d’identifier dans les plantes de nouvelles molécules originales avec un potentiel herbicide. Certaines  sont déjà connues, comme la sorgholéone, sécrétée par les racines du sorgho, ou la juglone, contenue dans les feuilles de noyer. »

« La décennie 2010-2020 fut celle de la reconnaissance du biocontrôle, résume Denis Longevialle, secrétaire général d’IBMA France. La décennie 2020-2030 sera celle du déploiement : nous voulons passer en dix ans le cap des 30 % du marché des pesticides et couvrir la majorité des usages. Nous avons confiance dans l’accélération de l’innovation, et demandons pour cela un crédit impôt recherche majoré. Toutefois, il ne faut pas laisser croire que le biocontrôle sera la solution unique, en particulier pour les grandes cultures. »