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Viticulture

Face au réchauffement climatique, le vignoble alsacien s’essaie au cépage Syrah


AFP le 12/08/2022 à 11:05

Planter en Alsace un cépage, la syrah, traditionnellement présent dans des zones plus torrides, comme la vallée du Rhône en France ou l'Australie? C'est le « challenge » tenté par un domaine viticole de Rouffach (Haut-Rhin), soucieux de trouver une parade viticole au réchauffement climatique.

A une vingtaine de kilomètres au sud de Colmar, le Clos Saint Landelin s’étend sur 28 hectares. Ses vignes produisent des vins de pinot noir, des crémants, des riesling ou des gewurztraminer, protégées des vents d’ouest chargés de pluie par les Ballons d’Alsace, deux sommets vosgiens.

Avec une pluviométrie similaire à celle de Montpellier, « c’est l’endroit le plus sec d’Alsace », explique Thomas Muré, 42 ans, qui gère depuis quelques années avec sa soeur Véronique ce vignoble familial, en biodynamie depuis 2013.

Un climat sec qui n’a certes rien de nouveau, mais qui se retrouve amplifié par le réchauffement climatique. Comme beaucoup d’autres, la région, déjà peu arrosée, n’a pas reçu une seule goutte de pluie depuis des semaines. Entre les rangs de vigne, la terre ocre, asséchée, s’élève en poussière lorsqu’on la foule.

« Si le changement climatique continue dans cette même direction, qu’est-ce qu’on fait » pour adapter la production viticole et continuer à faire de « grands vins » ?, s’interroge Thomas Muré.

« Expérimentation »

Cette question, son père, René Muré, se l’est posée il y a plus d’une dizaine d’années lorsqu’il a constaté « que les dates de vendanges arrivaient de plus en plus tôt », explique l’œnologue.

Il fallait alors trouver le cépage idoine, capable de mûrir « un tout petit peu plus lentement », de supporter la chaleur mais aussi les « hivers froids » alsaciens.

Assez naturellement, la syrah a fini par s’imposer : en France, on retrouve ce cépage dans la vallée du Rhône, mais il est présent aussi en Suisse voisine, en Italie, en Grèce, en Afrique du Sud, au Liban ou encore en Australie, sous le nom de Shiraz.

En 2010, six rangs sont donc plantés sur le domaine, avec l’intention d’en étudier le comportement sur un terroir argilo-calcaire.

Une « expérimentation » tout autant qu’un « challenge » puisqu’il a fallu sacrifier autant de rangs de vigne et donc perdre leur production et les fruits de leurs ventes, explique Thomas Muré.

Douze ans et six millésimes plus tard, le cépage noir donne en moyenne 300 bouteilles par an (soit à peine « 0,3% » de la production du domaine), une cuvée pour l’heure confidentielle, commercialisée principalement dans un cercle d’habitués du Clos Saint Landelin, sous la dénomination « Vin de France », sans référence à l’Alsace puisque la syrah n’est pas considérée comme un cépage alsacien, explique M. Muré.

« Au bout de dix ans » d’essais, « on se rend compte que c’est un vin » rouge « agréable à boire », avec un « côté salin et minéral », qui se gardera « dix, vingt ans sans problème », assure le viticulteur.

Il « a tout de suite beaucoup intéressé nos clients », sommeliers ou particuliers, tous curieux de « goûter la première syrah produite en Alsace », explique sa sœur, Véronique Muré, 46 ans.

« Il y a une demande », ce qui « nous a incités à passer » à une « vraie cuvée », avec la plantation « l’hiver dernier » d’une soixantaine d’ares de syrah supplémentaires, soit au total un peu moins de 70 ares, poursuit celle qui gère les aspects commerciaux et administratifs du Clos Saint Landelin.

« Histoire de patience »

Ces nouveaux plants devraient donner leur première récolte « d’ici cinq ou six ans », estime-t-elle. « La viticulture, c’est toujours une histoire de patience ».

Au début, l’initiative a « surpris » le monde viticole alsacien, reconnaît Thomas, la syrah ne faisant pas partie des sept cépages alsaciens (pinots noir, blanc et gris, riesling, muscat, sylvaner et gewurztraminer).

Pour autant, la profession est très consciente « du changement climatique » et « tout le monde cherche des solutions », poursuit M. Muré. « Une poignée » de viticulteurs alsaciens leur a ainsi emboîté le pas pour planter également de la syrah, sans toutefois se lancer pour l’instant dans la commercialisation, glissent Thomas et Véronique.

Est-ce à dire qu’à terme, la syrah est appelée à se banaliser en Alsace? Difficile de s’avancer. Mais « si le réchauffement (climatique) continue, si on va dans la même direction que ces dernière années, alors la syrah a sa place en Alsace », veut croire Véronique.