Accéder au contenu principal
Echanges commerciaux

Les clauses miroirs désormais dans les esprits, mais pas encore dans les textes


TNC le 01/11/2023 à 07:58
bovins_alimentation

En vue des élections européennes de 2024, Interbev, la FNH et l'Institut Veblen présentent une feuille de route pour la réciprocité des normes. (© Emel Ariman, Pixabay)

Conséquence des accords de libre-échange, un certain nombre de produits agricoles importés ne respectent pas les mêmes normes que celles de l’Union européenne, entraînant une concurrence déloyale pour les producteurs européens. Certaines filières comme la viande bovine en souffrent d’autant plus qu’elles font face à d’autres difficultés économiques. Pour y remédier, la mise en place de clauses miroirs apparaît comme un levier significatif, mais encore difficile à mettre en œuvre concrètement.

Depuis quelques années, l’idée de mettre en place des clauses miroirs dans les accords de libre-échange fait son chemin dans les instances de l’Union européenne, sans pour autant se traduire de façon concrète, ce qui entraîne des pertes économiques plus ou moins importantes selon les filières agricoles. En vue des élections européennes de 2024, Interbev, la Fondation pour la nature et l’homme (FNH) et l’institut Verben pour les réformes économiques proposent une feuille de route en faveur de la réciprocité des normes dans les échanges commerciaux. Cette dernière a été présentée à l’issue d’une conférence, « Politique commerciale européenne vs Green Deal », organisée le 31 octobre.

L’élevage bovin, particulièrement vulnérable

« Structurellement, la politique européenne ne s’est pas construite autour de la question environnementale, on faisait du business », a rappelé le ministre de l’agriculture, Marc Fesneau, en ouverture des tables-rondes. Or, si l’Union européenne entend répondre aux enjeux environnementaux, à travers le Green Deal notamment et, pour le secteur agricole, un certain nombre d’interdictions concernant les pratiques et les produits utilisés, cette préoccupation n’est pas forcément partagée par les pays avec lesquels l’UE met en place des accords de libre-échange. Et les filières animales, souvent variable d’ajustement de ces accords, en souffrent davantage.

Ainsi, alors que l’élevage bovin français représente l’un des modèles les plus vertueux, « on est entourés par des modèles ultra-industrialisés, avec 30 000 têtes en moyenne dans un feedlot, et des normes très différentes, des activateurs de croissance, des farines de viande, peu de traçabilité… », déplore Patrick Bénézit, président de la FNB. Une situation qui contribue aux difficultés de la filière bovin viande qui enregistre 25 % d’éleveurs en moins en 10 ans et un million de vaches en moins en 7 ans.

Différents niveaux de cohérence

Pour Jérémy Decerle, député européen et ancien président de Jeunes agriculteurs, si le constat est partagé, l’une des difficultés au niveau opérationnel réside dans la difficulté de la Commission européenne à décloisonner : « ceux qui négocient les accords, ceux qui écrivent la Pac et ceux qui font le Green Deal ne se parlent pas assez », sans compter que les mandats de négociation sont souvent anciens (celui de l’accord UE-Mercosur date de 1998). « Il y a un besoin de cohérence au sein même de la Commission », explique le député.

Cependant, les incohérences ne se cantonnent pas au fonctionnement de la Commission européenne. Si, concernant la viande bovine, le consensus est facile à avoir, note Aurélie Catallo, directrice Agriculture France de l’Iddri, une mesure-miroir sur le soja importé aurait des implications autrement sensibles. Ainsi, pour lutter contre les importations de soja OGM, le plan protéines français entend doubler les surfaces cultivées dans l’Hexagone. Selon les calculs de l’Iddri, cette ambition ne permettrait de réduire que de 30 % les importations de soja. Si on envisage une mesure miroir, des conséquences se feraient sentir sur l’approvisionnement des filières d’alimentation animale, sur la taille des cheptels, mais également sur le consentement à payer des consommateurs, puisque l’écart de compétitivité entre les protéines végétales produites en France et le soja importé avoisine les 50-60 € la tonne. Il s’agit donc « d’harmoniser nos propres normes au niveau européen, et de réviser certains éléments qui ont dicté la politique commerciale de l’UE jusqu’à présent pour avoir une transition qui ne se fasse pas au détriment des producteurs français », estime-t-elle.

Table-ronde avec Daniel Sauvaitre (Interfel), Jérémy Decerle (député européen), Benjamin Lammert (Terres Univia), Aurélie Catallo (Iddri) et Patrick Benezit (FNB) (© Terre-net Media)

LMR, filières dédiées… Que faut-il pousser au niveau européen ?

Comment, alors, passer des paroles aux actes ? Plusieurs leviers peuvent être activés, comme « un abaissement systématique au seuil de détection des LMR (limite maximale de résidus) qui concernent les substances interdites au niveau européen », explique de son côté Stéphanie Kpenou, responsable de plaidoyer de l’institut Veblen. Mais cette approche reste mal adaptée pour les interdictions qui portent sur la protection de l’environnement et pour les produits dangereux, « il faudrait aller plus loin et imposer l’interdiction pure et simple avec, en parallèle, la mise en place de filières dédiées comme on sait le faire par exemple pour le bœuf sans hormones », ajoute-t-elle.

Au sein de l’Union européenne, « un outil interne serait déjà d’arrêter la surtransposition des normes, notamment en France pour le glyphosate ou les néonicotinoïdes », souligne également la députée européenne Anne Sander. Concernant la filière bovine, Interbev met en avant trois mesures prioritaires : l’interdiction des antibiotiques promoteurs de croissance, des mesures miroirs sur la traçabilité et l’identification, et une clause de conditionnalité demandant notamment à réserver l’importation à la viande issue d’élevages à l’herbe et non pas de feedlots. Une clause glissée facilement dans l’accord commercial avec la Nouvelle-Zélande, pays où il n’y a pas de feedlot, souligne Guillaume Gauthier, président de la Commission Enjeux sociétaux d’Interbev, mais qui serait la bienvenue dans le cadre de l’accord avec l’Australie. « On est fiers de ce qu’on fait. Quand on veut des mesures miroirs, ce n’est pas parce qu’on veut faire comme les autres, c’est qu’on veut que les autres fassent comme nous », ajoute-t-il.

Plus généralement, les trois organisations (Interbev, FNH et l’Institut Veblen) demandent un engagement de la France sur la mise en place d’un moratoire européen sur les accords de libre-échange, un refus ferme de ratifier l’accord UE-Mercosur, une liste précise des mesures miroirs à faire adopter d’ici la fin du prochain mandat européen, la mise en œuvre de contrôles efficaces dans les pays exportateurs, et un règlement européen « véritablement utile » concernant la lutte contre la déforestation importée.