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Rémunération en élevage laitier

En 2022, l’écart s’est creusé dans les revenus des éleveurs laitiers


TNC le 12/04/2023 à 05:00
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En 2022, les fermes laitières en polyculture-élevage du réseau Inosys ont obtenu un revenu moyen presque quatre fois supérieur à celui des exploitations spécialisées en lait bio de plaine. (©JeanLuc, AdobeStock)

D’après des estimations menées dans presque 300 fermes laitières du réseau Inosys, les revenus ont en moyenne grimpé en 2022 dans les exploitations conventionnelles de plaine, en particulier dans les systèmes en polyculture-élevage. Ils ont en revanche plafonné dans les exploitations laitières de montagne et se sont dégradés dans les fermes laitières bio de plaine. Et chez vous ?

Inédite et compliquée à cause de la flambée des cours des intrants et de l’intense sécheresse estivale, 2022 a également été marquée par la hausse des prix du lait, mais aussi de la viande et des grandes cultures. Si bien que la majorité des éleveurs laitiers ont amélioré leur revenu, même si certains systèmes ont été pénalisés. C’est ce qui ressort du dossier annuel de l’Idele consacré à l’économie des élevages bovins laitiers, et de la journée « Grand angle lait » que l’institut technique organisait à Paris le 5 avril.

L’été a été « quasi meurtrier » pour les prairies et les productions fourragères dans l’ensemble des bassins laitiers et la sécheresse n’a été que « partiellement compensée par les reports de stocks 2021 », rappelle de fait l’économiste Gérard You, notant une baisse moyenne de 20/25 % des rendements des prairies par rapport à la normale, et de 20 % pour le maïs fourrage.

Et puis la guerre en Ukraine a accentué la hausse des cours de l’énergie initiée mi-2021. Une flambée qui s’est vite répercutée sur les prix des intrants agricoles : l’indice Ipampa lait de vache, qui représente environ 55 % des charges de production de l’atelier bovin lait, a pris 19 % entre 2021 et 2022, un record porté par la flambée des prix des carburants, des engrais et des concentrés.

« Les équipements et investissements ont aussi été beaucoup plus onéreux, et les charges hors-Ipampa (hausse du Smic, fermages, livret A, travaux par tiers) ont aussi subi une hausse sensible », souligne l’économiste Yannick Péchuzal, si bien que la hausse des coûts de production du lait atteindrait + 9 % à + 12 % en 2022 selon les systèmes.

En face, tous les produits de l’atelier laitier ont eux aussi grimpé en 2022. La flambée des prix des ingrédients laitiers s’est répercutée sur le prix du lait conventionnel payé aux producteurs en France : il a atteint 423 €/1 000 l en moyenne, soit une hausse de 23 % par rapport à 2021. Le produit joint a grimpé de 20 €/1 000 l en moyenne, porté par la forte hausse des prix des vaches de réforme. Et les prix des cultures de vente ont flambé.

Plus précisément, comment cette situation a-t-elle affecté le revenu des exploitations laitières en 2022 ? Pour avoir un premier aperçu, nous vous avons posé la question aux lecteurs de Web-agri, entre le 4 et le 11 avril. Résultat : le revenu a augmenté pour presque 60 % des répondants entre 2021 et 2022, il a été stable pour 17 % d’entre eux et il a baissé pour environ un quart.

Les revenus moyens 2022 dépassent 57 000 €/UMOex dans les systèmes conventionnels de plaine

Pour répondre à cette question dans le détail, l’Idele s’est de son côté appuyé sur 298 exploitations du réseau de fermes Inosys des chambres d’agriculture, représentatives de six systèmes laitiers : spécialisés lait de plaine, lait et cultures de vente, lait et viande bovine de plaine, spécialisés lait des montagnes de l’est, spécialisés lait des montagnes et des piémonts du sud, spécialisés lait bio de plaine.

L’institut a estimé le revenu moyen dans ces fermes à partir du résultat courant : les produits moins les charges, en prenant en compte les amortissements, les frais financiers et les cotisations sociales. Il est exprimé en € de résultat courant/UMOex (unité de main-d’œuvre exploitant). Conclusion principale : « 2022 amplifie les tendances », si bien que «  les écarts se creusent entre les six groupes étudiés ».

Attention, alerte Yannick Péchuzal : les niveaux de résultats obtenus dans les fermes du réseau Inosys ne sont pas forcément représentatifs de l’ensemble des exploitations laitières françaises, notamment en raison de leurs performances technico économiques au-dessus de la moyenne.

Evolution des résultats courants/UMOex des principaux systèmes d’élevage bovins laitiers (©Idele, d’après Inosys Réseau d’élevage)

68 200 €/UMOex dans les exploitations laitières spécialisées de plaine

On note de fait de fortes hausses de revenus dans les exploitations des trois systèmes conventionnels de plaine, où la hausse de valeur des produits vendus en 2022 compense la hausse des charges. La progression est « marquée » dans les exploitations laitières spécialisées de plaine, avec un résultat courant estimé à 68 200 €/UMOex en moyenne (+ 23 400 €/UMOex, soit + 53 %), porté par une hausse des produits de 46 500 €/UMOex (dont 70 % liée au produit lait).

« Les excédents fourragers 2021 ont permis à la majeure partie de ces exploitations de conforter les stocks par rapport à une année normale », « des approvisionnements ou commandes ont pu être anticipés » quand les fermes ont une trésorerie saine, « les éleveurs ont optimisé l’utilisation des intrants » face à la hausse des prix et l’efficacité économique de ces fermes a grimpé de 3 points. L’Idele souligne néanmoins que cette situation n’a pas redynamisé la collecte laitière.

57 600 €/UMOex dans les exploitations « lait et viande bovine de plaine »

Les prix du lait et de la viande en 2022 ont particulièrement profité aux exploitations « lait et viande bovine de plaine », qui atteignent des « résultats exceptionnels » : le résultat courant moyen a bondi de 24 000 €/UMOex en moyenne et 71,4 %, au niveau record de 57 600 €/UMOex.

Les charges opérationnelles ont fortement augmenté pour ces fermes, mais dans la plupart « le report de stock de 2021 et les conditions automnales propices ont permis d’éviter l’achat de fourrages en 2022 ». En face, les produits joints issus de l’atelier laitier ont augmenté de 40 % entre 2021 et 2022, et le produit de l’atelier viande (taurillons, bœufs, vaches allaitantes) de 22 %.

L’Idele prévient néanmoins : l’inflation pourrait être plus impactante en 2023 qu’en 2022 pour ces exploitations, dont beaucoup ont contractualisé des aliments sur les tarifs 2021 et acheté des engrais avant la flambée des cours.

93 000 €/UMOex dans les exploitations de polyculture-élevage

La hausse du revenu est « très significative » dans les systèmes en « lait et cultures de vente », atteignant le « niveau exceptionnel de 93 000 €/UMOex » en moyenne (+ 32 000 € et + 52,5 %). Portée par la flambée des engrais, la hausse des charges a atteint en moyenne + 35 500 €/UMOex dans ces fermes, avec des effets « très variables selon les dates d’achat et des stratégies culturales ».

Avec un impact « relatif » de la sécheresse et des rendements culturaux « hétérogènes » mais dans la moyenne, l’envol des prix des cultures (+ 27 % pour le blé et le maïs) a provoqué une hausse de 30 400 €/UMO du produit des cultures, à laquelle s’est ajoutée la hausse du produit lait, grâce à des volumes stables et des prix en hausse, et du produit viande.

« Le nombre d’éleveurs laitiers diminue plus vite qu’à l’échelle nationale » dans ces zones en polyculture-élevage en raison de la bonne conjoncture en grandes cultures en 2021 et 2022, précise l’Idele, et « les risques liés à la spécialisation et les niveaux élevés des intrants interrogent sur les marges des cultures pour 2023 ».

25 500 €/UMOex en lait des montagnes et des piémonts du sud

Dans les exploitations laitières spécialisées des montagnes et piémonts du sud (c’est-à-dire le Massif central et ses contreforts), le revenu croît en moyenne de 28,1 % et de 5 500 €/UMOex pour atteindre 25 500 €/UMOex, profitant de « la bonne conjoncture sur le prix du lait et les vaches de réforme ».  Une hausse « sensible » et un niveau de revenu jugé insuffisant car en-dessous des 2 Smic/UMOex (environ 29 000 €) retenus pour le calcul de l’indicateur de prix de revient du lait de vache.

L’Idele ajoute que pour ces fermes, le prix du lait a été très discriminant en 2022 (la hausse des prix AOP a été moindre que celle des lait conventionnels), de même que la stratégie d’approvisionnement et les avances de stocks : « Pour ceux qui ont tout acheté pour nourrir leurs animaux à partir de l’été 2022, les aides calamités ne suffiront pas à compenser la perte économique ».

Le revenu baisse dans les fermes des montagnes de l’est en AOP et dans les fermes bio de plaine

32 100 €/UMOex en lait des montagnes de l’est

Le prix du lait ayant moins grimpé qu’en filières conventionnelles, le revenu baisse dans les fermes des montagnes de l’est en AOP et dans les fermes spécialisées bio de plaine. Dans les premières, la tendance à la hausse observée depuis 2016 s’inverse pour atteindre 32 100 €/UMOex (- 7 000 €/UMOex et – 17,9 %),

Alors que les montagnes de l’est sont d’habitude « préservées des épisodes de sécheresse », elles ont cette fois subi de plein fouet l’aléa climatique en 2022 : rendements fourragers très bas sur les premières coupes, regains quasi inexistants et distributions exceptionnelles en été, poussant à des « achats onéreux de fourrages » et à l’achat d’aliments « plus denses en protéines à des prix particulièrement élevés ». Si bien que la charge alimentaire a plombé les résultats.

23 400 €/UMOex pour les fermes en lait bio de plaine

C’est pour les fermes laitières bio de plaine que la situation inquiète le plus : les revenus moyens se sont significativement dégradés, poursuivant la chute initiée en 2018, s’établissant à 23 400 €/UMOex (- 7 100 €/UMOex et – 23 % par rapport à 2021) et « attestant de la crise qui continue à impacter structurellement les exploitations bio ».

Les difficultés fourragères ont fait baisser les volumes livrés par exploitation (– 4 %) et les prix du lait bio ont reculé (- 3 €/1 000 l) en 2022, contribuant à un «  effet ciseaux entre charges et produits ». La production de lait bio est remise en question dans bon nombre d’exploitations, l’Idele soulignant des « solutions radicales » – déconversions, arrêt de la production laitière – et des solutions d’adaptation, comme la diversification : transformation fermière, maraîchère, cultures de vente.

À ce titre, « la question du prix du lait est majeure », continue l’Idele : quand l’écart entre prix du lait bio et prix du lait conventionnel tournait par le passé autour de 100 €/1 000 l, il s’est réduit à 30 €/1 000 l en 2022. « L’amélioration nécessaire des revenus est indissociable d’une revalorisation du prix du lait dans cette filière », plaide l’institut.

L’écart de trésorerie a amplifié les écarts à l’intérieur d’un même système

L’Idele signale par ailleurs que dans l’échantillon étudié, les écarts de revenus n’ont jamais été aussi importants à l’intérieur d’un même système. Les écarts sont toujours multifactoriels, mais ce qui s’est rajouté en 2022, « c’est la trésorerie, qui permet d’affronter les crises », pointe Yannick Péchuzal : « elle a permis à ceux qui en avaient de réagir vite et au bon moment – acheter des engrais en morte saison, du fourrage quand il en manquait – et aux autres de subir encore plus ».

Cette situation met l’accent sur la capacité à gérer les risques, déterminante dans le revenu. L’occasion pour l’Idele d’insister : « Tout l’enjeu dans la gestion des risques est de déterminer les marges de sécurité – stocks fourragers, trésorerie, main-d’œuvre, assolement – dont l’exploitation aura besoin pour appréhender et rebondir plus facilement face aux aléas ».

Dès lors, quelles perspectives pour 2023 ? « Le prix du lait s’annonce plutôt stable en France sur le premier semestre et on peut s’attendre à une baisse au second, en fonction des cours des produits laitiers », note Gérard You. Côté charges, elles s’annoncent encore élevées, ajoute Yannick Péchuzal.

Lequel incite plus que jamais à l’optimisation des pratiques : « On ne peut plus gaspiller des unités d’azote minéral quand elles sont à 2,50 €, on ne peut plus gaspiller de l’aliment quand il vaut 600 € ! ». Cela passera par l’adaptation (« penser avances de stocks, trésorerie, adaptation au changement climatique ») voire par la reconception des systèmes : « Les systèmes mixtes tirent souvent leur épingle du jeu, la mixité, ça a du bon ! », conclut-il.