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Race, système, commercialisation...

« Quand on s’installe, avoir plein d’idées en tête ! »


TNC le 06/06/2023 à 07:56
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Pour « se démarquer avec de la viande de qualité », les éleveurs sont en train de passer d'un troupeau limousin à Angus.(©aqui! Le journal numérique de Nouvelle-Aquitaine / Salon de l'agriculture de Nouvelle-Aquitaine / AgriwebTV)

Après s'être rencontrés pendant leurs études, Delphine et Fabien Prunet se sont installés ensemble en élevage allaitant, en Dordogne, loin de leurs départements d'origine. Changement de race, passage en bio et en système tout herbe, avec pâturage tournant, développement de la vente directe, recours aux Cuma et au salariat partagé : ils ne manquent pas d'idées pour s'épanouir, au niveau pro et perso, aussi bien techniquement, qu'économiquement, en termes d'organisation du travail, de relations humaines...

Delphine Prunet et son mari Fabien se sont rencontrés à l’école d’ingénieurs en agriculture de Purpan, à Toulouse. Ayant pour projet de s’installer en agriculture ensemble, ils ont d’abord travaillé une dizaine d’années dans des organismes agricoles, pour y « faire leurs armes » et approfondir leur connaissance du secteur : lui en tant que conseiller bancaire (dédié par la suite aux agriculteurs en difficulté), elle comme conseillère formation à la chambre d’agriculture.

Faire ses armes dans le para-agricole.

Il y a trois ans, au passage de la trentaine, ils « franchissent le cap » et commencent à chercher une exploitation agricole à reprendre, dans le Cantal d’où Fabien est originaire et où Delphine l’a suivi. Elle, vient de Picardie : ses parents, éleveurs laitiers, se sont reconvertis dans les céréales et la pomme de terre, suite à la crise du lait de 2009. « J’ai toujours côtoyé le milieu agricole mais au départ, je ne savais pas si je voulais devenir agricultrice. Mes parents, très ouverts, m’ont laissée prendre mon temps, me conseillant d’aller voir ailleurs d’abord », raconte la jeune femme.

Du Cantal… à la Dordogne

Via le RDI (répertoire départ installation), « un outil vraiment facile d’accès », le couple visite plusieurs structures mais aucune ne correspond à ce qu’ils désirent : « de l’élevage en système herbager. » Ou sont « trop petites pour faire vivre deux personnes », leur objectif dès le début. Pas de maison d’habitation non plus : rédhibitoire. Grâce au RDI, ils élargissent leur périmètre de recherche facilement, jusqu’en Dordogne où une ferme « colle plutôt bien sur pas mal de points » : en termes de surface disponible pour 2 UTH, de productions (vaches et ovins allaitants) et de logement sur place.

L’exploitation en quelques chiffres

  • SAU : 170 ha (100 % en herbe)
  • Cheptel : 40 VA, 350 brebis (70 VA et 200 brebis initialement)
  • Race des vaches : passage progressif de Limousine à Angus
  • Main-d’œuvre : 2 UTH (Gaec entre époux) & 1 salarié partagé à 15 exploitations
  • En projet : atelier bœufs et vente directe pour les bovins (déjà en place pour les ovins)

Les cédants, le père partant en retraite et sa fille ne désirant pas continuer seule, élevaient 70 VA limousines et 200 brebis. « Nous avons trouvé un accord avec eux pour qu’ils réduisent le cheptel bovin. En plus de limiter le capital d’exploitation à reprendre, cela nous permettait d’augmenter la troupe ovine », explique Delphine. « Quand nous sommes arrivés, le troupeau ne comptait plus qu’une quarantaine de vaches. Avec le stock fourrager présent, nous pouvions nourrir 350 brebis en plus, indique Fabien. À terme, nous passerons peut-être à 400 mais nous resterons autour de 40-45 vêlages par an. »

Au menu : de l’herbe uniquement

Dans un secteur particulièrement séchant, c’est suffisant en matière de chargement, sinon l’autonomie fourragère pourrait en pâtir, jugent les jeunes éleveurs. « Faut avoir en tête que, malgré tout, l’été, vous donnerez du foin en complément », lance Delphine. 100 % de la SAU − 170 ha − est en prairie et « le restera », insiste son conjoint, précisant : « Nous sommes convaincus par la philosophie bio sans être non plus des acharnés et nous essayons d’être le moins dépendant possible des intrants. » Une demande aussi de leur clientèle en vente directe (lire plus bas). « Notre but n’est pas de produire des céréales pour alimenter nos animaux mais qu’ils profitent de l’herbe poussant naturellement dehors. En matière d’alimentation, on ne fait pas mieux ! Et l’hiver, ils n’ont que du foin. »

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Les jeunes producteurs envisagent donc le pâturage tournant afin « d’optimiser la pousse de l’herbe, de la faire pâturer au meilleur stade et de favoriser sa régénération ». Ils espèrent ainsi économiser du foin durant la saison estivale et éviter d’en acheter pour terminer la période hivernale. Pour leur première mise à l’herbe, ils se « débrouillent comme ils peuvent », car impossible de réaliser tous les investissements en même temps. À partir de l’an prochain, ils vont « préparer le parcellaire », c’est-à-dire aménager les paddocks (clôtures et abreuvoirs) pour que les bêtes en changent tous les 3-4 jours.

S’adapter au changement climatique

Une façon de « s’adapter au changement climatique », pointe Delphine, qu’il a fallu prendre en compte dès l’installation, l’exploitation se situant en zone très séchante. Les jeunes installés projettent, de plus, de développer les haies pour stocker du carbone et diminuer les rejets de gaz à effet de serre. Autant d’abris naturels également pour les bêtes. La ressource en eau constitue, en outre, « un enjeu primordial ». « Là tout reste à faire, reconnaissent-ils, pour capter l’eau de source et mettre en place des points d’abreuvement, comme récupérer l’eau de pluie au niveau des bâtiments. » 

La vente directe pour l’épanouissement personnel.

Amplifier la vente directe a aussi un impact sur les émissions de GES, estiment les éleveurs. « Certes, il faut des produits pour tous les budgets, mais la viande en grandes surfaces provenant de l’autre bout du monde nous pose question. » Le choix de ce mode de commercialisation répond aussi à des préoccupations économiques et d’épanouissement personnel. « Dans nos anciennes professions, nous étions en relation avec beaucoup de monde, on s’épanouissait grâce à ça, on ne veut surtout pas le perdre », insiste Delphine. 

Pour « se démarquer avec de la viande de qualité », les producteurs passent progressivement d’un troupeau Limousin à Angus. Une race qu’ils ont aussi choisie pour son élevage facile et pour produire des bœufs. Les cédants, qui vendaient déjà leurs agneaux en direct, leur ont transmis leur fichier clients. Un coup de pouce, très apprécié, grâce auquel ils ont pu se lancer tout de suite. « En bovins, il faut tout créer. Les premières ventes n’auront lieu que dans 2-3 ans. Niveau trésorerie, faut pouvoir assurer derrière », précise Fabien.

Appui financier et humain

« Mieux vaut avoir plein d’idées en tête quand on s’installe ! », conclut le couple dont l’installation est effective depuis le 1er décembre 2022, au bout d’un an de préparation et démarches diverses. La cession de la SCEA (de parts sociales donc) comprend le cheptel (40 VA et 200 brebis + le renouvellement), les bâtiments et le matériel (de fenaison essentiellement). Le foncier agricole a été repris, lui, à titre individuel : 1/3 a été acheté et 2/3 loué (baux transmis avec la société). Sur le plan financier, Delphine et Fabien ont tous deux obtenu la DJA (dotation jeune agriculteur) en tant que hors cadre familial en conversion bio (ils sont dans la première année).

Puisqu’ils ont dû démissionner de leur emploi, ils n’ont pas touché d’indemnités chômage, mais 40 % des droits cotisés leur ont été reversés dans le cadre du dispositif Transition pro de la Région, accessible aux démissions pour création ou reprise d’entreprise. « Une aide non négligeable » qui s’est ajoutée à celle du Département, et apporte de la trésorerie, souligne Delphine. Côté charge de travail pour l’élevage, « en Gaec entre époux, c’est 24 h sur 24 », poursuit-elle. Les agriculteurs arrivent malgré tout à se dégager du temps pour leurs deux enfants et leurs responsabilités professionnelles, dans des Cuma principalement. Un moyen de « limiter les investissements » − dans le matériel de travail du sol et le camion frigorifique pour la vente directe notamment − et de « connaître ses voisins agriculteurs » quand on n’est pas du coin.

« Échanger avec des gens qui ont de l’expérience » est un soutien appréciable pour de jeunes installés, appuie Delphine. « Il faut savoir s’organiser, c’est le maître-mot », reprend la jeune femme, pour qui, on l’a bien compris, il est essentiel de « maintenir des relations humaines à l’extérieur de la ferme ». La structure continue de faire partie du groupement d’employeurs auquel adhérait déjà la SCEA, et partage un salarié avec 14 autres exploitations. Quant aux cédants, ils leur ont proposé de les aider bénévolement les première années. Lui, maire du village, a vraiment facilité leur intégration dans leur nouvelle région. « Il tenait à ce que des jeunes redynamisent un secteur en déprise », résume Delphine.

Source : témoignage vidéo et table ronde « Agriculture : à chacun son installation », organisée dans le cadre de la 6e journée installation/transmission qui s’est tenue lors du Salon de l’agriculture de Nouvelle-Aquitaine 2023, en replay sur le site web salon-agriculture.fr.