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Prairies en agriculture biologique

« La ferme de polyculture élevage n’est pas forcément autonome en intrants »


TNC le 21/10/2022 à 05:13
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Après 15 ans en agriculture biologique, les sols de la Ferme expérimentale de Bordes avaient de faibles teneurs en phosphore et potasse. (© TNC)

À la ferme des Bordes, les effluents produits sur l'exploitation ne suffisent pas à éviter un appauvrissement des terres en phosphore et potasse. Pour éviter que les conséquences sur le rendement soient trop importantes, la ferme expérimentale corrige cette carence via l'achat de lisier de porc et/ou de fientes de poules sur d'autres exploitations.

En bio depuis 2001, la ferme expérimentale des Bordes a travaillé sur la fertilisation des prairies via des fertilisants autorisés en agriculture biologique, et pour Carole Gigot, ingénieur fourrage pour Arvalis à la Ferme des Bordes, « la ferme de polyculture élevage n’est pas forcément autonome en intrants, même si c’est une idée que l’on entend beaucoup dans la campagne. Si l’on ne produit pas assez d’effluents sur notre système et que l’on n’arrive pas à fertiliser assez ses prairies, on voit que le rendement dégringole. »

Le phosphore, facteur limitant 

Entre 1999 et 2011, la Ferme des Bordes parvenait à atteindre l’autonomie fourragère une année sur deux. Elle était même totalement autonome en fourrage en prenant en compte les réserves fourragères. À partir de 2011, l’autonomie fourragère (en ne tenant compte que de la production de l’année) n’a été atteinte qu’entre une et deux années sur cinq et la qualité du fourrage s’est également dégradée. En cause, le phosphore et la potasse, dont les teneurs ont fortement diminué sur les parcelles de la ferme.

En 1999, des analyses de sol ont été effectuées avant la conversion du système au bio. « Déjà à l’époque, il a été constaté que nous vivions sur les réserves de la parcelle » commente Carole Gigot. Ainsi, 3 parcelles sur les 6 analysées étaient en dessous du seuil T-renforcement pour le phosphore selon la méthode Comifer en 1999. Ce seuil équivaut à la teneur en deçà de laquelle il faut renforcer la fumure au delà de la stricte compensation des exports. Concernant les teneurs en potasse, 2 parcelles sur 6 se situaient en dessous du seuil de renforcement. Pour ces deux éléments, l’intégralité des parcelles était en dessous du seuil d’impasse en 1999.

Or, le phosphore est un facteur limitant pour la croissance des légumineuses, vient ensuite la potasse. Sans apports réguliers, ces teneurs diminuent ce qui impacte la qualité des fourrages et le rendement. Les effluents d’élevage apportent majoritairement de l’azote. Si cet élément est essentiel pour l’autonomie fourragère, la présence de phosphore et potasse contribue à améliorer l’autonomie protéique de l’exploitation, via le maintien des légumineuses.

« Après une quinzaine d’années en agriculture biologique, les résultats de 2016 ont montré que l’intégralité des parcelles étaient en dessous du seuil T-renforcement. » Durant cette période, les parcelles ont été fertilisées via un apport de compost issu de l’exploitation, à raison de 8 t/ha sur ¼ des surfaces.

Les effluents d’élevage améliorent le rendement…

Les essais conduits sur prairie permanente ont mis en concurrence 10 fertilisants différents. Parmi les éléments ayant permis d’améliorer le rendement, les effluents d’élevage, apportés en hiver (dose kg/ha N – 125, P – 73, K – 245) comme automne (dose kg/ha : N – 142, P – 93, K – 283) permettent d’obtenir un rendement sur quatre ans de l’ordre de 29 t de MS/ha, là ou le lot témoin réalise un rendement de 20 t de MS/ha sur quatre années. 

Parmi les modalités testées pour fertiliser les prairies temporaires, la fiente de poules (dose kg/ha : N – 75, P – 54, K – 54) est l’option qui a permis de dégager le plus de rendement en t de MS/ha, avec environ 28 t de MS/ha récoltées sur 4 ans. Le lot témoin (zéro apport) affiche un rendement à 20 t de MS/ha. Viennent ensuite les effluents d’élevage étendus en hiver, puis en automne avec respectivement 27,5 et 26 t de MS/ha. La modalité phosphate naturel permet d’améliorer le rendement cumulé sur 4 ans d’environ 1 t de MS par rapport au rendement témoin.

…mais influent négativement sur la proportion de légumineuses

Les effluents d’élevage ont l’avantage de permettre un apport en phosphore et potasse, mais ils sont également très riches en azote ce qui place les graminées et légumineuses dans un rapport de concurrence. Il a donc été observé dans les prairies que les parcelles fertilisées via de la fiente de poules, ou via les effluents d’élevage présentent une plus faible proportion de légumineuses, et les graminées semblent prendre le dessus dans la parcelle à l’issue de la deuxième année. La fertilisation peut également impacter le pH du sol ce qui peut être limitant pour la croissance des légumineuses. L’objectif est alors de trouver un compromis entre utilisation d’effluents d’élevage, et maintien d’une population de légumineuses. 

Acheter des fertilisants en complément

L’exploitation a donc entrepris d’acheter des fientes de volaille et ou du lisier de porc pour fertiliser davantage de surface en complément des effluents produits sur la ferme en 2020. Cette stratégie aura eu pour effet d’améliorer les teneurs en potasse dans les sols, avec 5 parcelles sur 6 au-dessus du seuil T-renforcement, dont une au-delà de T-impasse. Cette option suppose cependant de mobiliser davantage d’effluents pour épandre sur les prairies de l’exploitation, mais Carole Gigot l’admet, « c’est difficile de trouver des fertilisants pour les cultures bio. Beaucoup de monde en cherche… »