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Elevage de la Mare Pérot (Manche)

« Des producteurs de viande, il en faut ! » pour M. Crouin, jeune éleveur


TNC le 12/12/2022 à 09:23
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L'exploitation compte 100 ha, dont 65 ha de prairies. Les vaches allaitantes sont élevées exclusivement à l'herbe. (©TNC)

Mathieu Crouin est un jeune éleveur allaitant qui se démarque. Suite à une allergie au pollen, aussi subite que violente, il a été quelque temps boulanger à Paris avant de reprendre, en 2017, une ferme à Saint-Martin-le-Bouillant dans la Manche. Il choisit ensuite la race Parthenaise, plutôt rare en Normandie pour « produire de la viande haut de gamme ». Il en est convaincu : l'installation est possible dans cette filière et en vente directe, à condition de « bien réfléchir le système, le travail et les débouchés ».

Mathieu Crouin a un parcours un peu atypique. Né dans la Manche et passionné d’élevage depuis tout petit, ce petit-fils d’agriculteurs se destine naturellement au métier d’éleveur. Ses grands-parents ayant cessé leur activité quand il était enfant, il va donner un coup de main dès qu’il le peut chez des amis exploitants. À l’âge de 16 ans, il est « tombé allergique au pollen » comme il dit. Une grosse allergie, problématique notamment pendant les foins et la moisson qui, malgré une désensibilisation, ne faiblit pas, alors Mathieu part en apprentissage à Paris pour être boulanger.

Six ans plus tard, celle-ci s’estompe. Or le jeune homme ne s’épanouit pas dans son travail. « J’étais dans une grande boulangerie. On ne faisait que bosser, 16 heures par jour 6 jours par semaine, impossible de faire autre chose à côté », raconte-t-il. Nostalgique de sa Normandie, il revient sur ses terres natales et travaille deux ans comme vacher, au service de remplacement principalement, « le temps de monter un projet d’installation agricole ». « Une bonne expérience » qui lui a permis de « voir plein de systèmes et de bâtiments différents », relate-t-il. En 2017, il trouve son exploitation, à Saint-Martin-le-Bouillant (50), à une quinzaine de kilomètres seulement de là où il vivait, et peut « se lancer dans l’aventure » !

« Infaisable sans le portage foncier »

« Au départ, je devais même m’installer dans mon village d’origine. Mais la ferme était trop petite pour pouvoir en vivre, il aurait fallu que je sois double actif, explique-t-il. La Safer m’a proposé une autre structure. Je devais acheter les bâtiments et 60 ha de terres. Un tel investissement(1) me faisait peur. Heureusement, j’ai pu bénéficier d’un portage foncier via la Safer, avec option d’achat au bout de trois ans, sinon c’était infaisable. Un GFA (groupement foncier agricole) a aussi été créé en 2021 afin de racheter les terres portées par la Safer et les bâtiments acquis par des tiers pour me donner un coup de pouce à l’installation. Il ne me restait plus qu’à acquérir le corps de ferme et les parcelles dessous. »

(1) Détail des investissements

Corps de ferme + foncier (60 ha) : 1,04 M€

Construction de bâtiments : 200 000 €

Cheptel allaitant : 140 000 € (pour une valeur aujourd’hui de 550 000 €)
Taureaux : 8 000 €
Laboratoire de découpe/transformation : 60 000 €

Taurillons : 40 000 €
Porcherie : 50 000 €
Matériel : 325 000 € (il n’y en avait aucun sur la ferme reprise)
Autre : 6 000 €

Total : près de 2 M€ (autofinancement + prêts + subvention de 60 000 € pour les bâtiments + aide des parents)

L’éleveur a réalisé, lui-même, le terrassement et la maçonnerie de ses bâtiments. (©TNC)

« Une race atypique ici et technique »

En 2019, Mathieu saisit l’opportunité de reprendre l’élevage laitier d’un voisin, avec une quarantaine d’hectares en location, qu’il transforme en atelier taurillons. « La première exploitation, elle aussi, produisait du lait mais je préférais la production allaitante. Il y a beaucoup de boulot également, mais plus de souplesse, en particulier au niveau des horaires », estime-t-il. Une façon de se démarquer dans un bassin laitier. D’autant que le jeune éleveur choisit, comme pour le chemin qui l’a mené à l’agriculture, une race atypique dans la région, la Parthenaise, plutôt élevée en Poitou-Charentes et Pays de la Loire car originaire des Deux-Sèvres.

Beaucoup de boulot aussi en allaitant,
mais plus de souplesse qu’en lait.

« Je voulais une race de qualité pour vendre en direct une viande haut de gamme, goûteuse, très tendre, produite à l’herbe riche des prairies normandes, avec un bon rendement, et plutôt rare dans les boucheries locales. Un chef cuisinier au Salon de l’agriculture m’a conseillé la Parthenaise. En plus, elle est jolie avec sa robe fauve, ses yeux et son mufle noirs cernés de blanc, et le bout de ses cornes noir », précise-t-il tout en reconnaissant que « sa conduite est assez technique et nécessite pas mal de surveillance, au vêlage particulièrement pour éviter une surmortalité ».

La Parthenaise a une robe fauve, des yeux et un mufle noirs cernés de blanc,et le bout de ses cornes noir. (©TNC)

Transformation/vente directe : 4 personnes

Le jeune installé, qui possédait une dizaine de Limousines, va d’abord chercher une trentaine de génisses. Il complète au fur et à mesure le cheptel et atteint, en cinq ans, son « régime de croisière » : 80 mères (55 Parthenaises , 25 Limousines). En parallèle, il passe d’un à cinq bâtiments, dont il réalise lui-même le terrassement et la maçonnerie. « L’engraissement est plus long en Parthenaise : 8 mois avec de l’enrubannage d’herbe, de l’orge, de la luzerne, du lin et de la pulpe de betterave, pour obtenir des carcasses de 560 kg. »

Dès le départ, le jeune producteur fait un peu de transformation et de vente directe pour « limiter les intermédiaires et mieux valoriser la viande » en « créant du lien avec les consommateurs ». Au début via un prestataire puis, en 2019, au sein de son propre atelier de découpe et laboratoire qui emploie quatre personnes : lui, aux manettes en plus de l’exploitation, sa compagne à temps partiel qui gère notamment la partie administrative et commerciale, et deux salariés.

Un demi-veau et une demi-vache sont commercialisés chaque semaine. (©TNC)

Et 50 % du chiffre d’affaires

Chaque semaine, un demi-veau, une demi-vache et six cochons sont transformés et commercialisés à la ferme (ouverture cinq après-midis), sur cinq marchés avec un camion frigorifique, et via internet (sur https://elevagedelamareperot.fr) et les réseaux sociaux. « Facebook est ce qui marche le mieux, plus encore que notre site web », lance Mathieu. Il faut dire que la page Elevage De La Mare Perot est régulièrement alimentée avec les produits proposés (viande sous vide, charcuterie, plats cuisinés dont la fabrication est sous-traitée avec celle des terrines) et les lieux de vente, des mises en avant spécifiques et des promotions, des recettes, des posts et photos sur le quotidien de la ferme.

Ce qui marche le mieux, c’est Facebook !

Le jeune éleveur se fait aussi connaître grâce à des flyers, des articles dans la presse et des journées portes ouvertes avec restauration, concerts et bals. Il aimerait communiquer davantage mais cela prend du temps, et il en passe déjà beaucoup avec ses clients car « il est important d’échanger avec eux ». Les résultats sont déjà plus que satisfaisants. « Les ventes sont en constante progression. L’année dernière, elles ont augmenté de 20-25 %. L’activité représente 50 % du chiffre d’affaires », commente Mathieu, qui constate toutefois lui aussi que « le boom lié au covid est retombé et que l’inflation actuelle freine les achats ».

L’éleveur fait cinq marchés par semaine avec son camion frigorifique.(©TNC)

L’impact de l’inflation

« Avec la hausse des intrants, les coûts de production ont doublé. Mais impossible de multiplier par deux les prix de la viande. Même une légère augmentation pourrait faire partir les acheteurs. Mieux vaut ne pas changer les tarifs et les fidéliser », juge l’éleveur regrettant que, de manière générale, « la consommation soit difficile à prévoir ». « Dès fois, on manque de marchandise et d’autres, on en a trop », fait-il remarquer. Dans les tuyaux, pour continuer de développer la clientèle et ouvrir le magasin de la ferme six jours sur sept : l’accueil de camping-cars, avec des barbecues à disposition, et une ferme pédagogique à horizon avril-mai prochain avec l’embauche d’un salarié supplémentaire.

On ne peut pas multiplier par 2 le prix de la viande !

L’occasion de « montrer, aux camping-caristes et visiteurs, les conditions d’élevage et de leur donner envie de manger nos produits. Et d’accroître la zone de chalandise en accueillant des gens qui viennent de plus loin », détaille le producteur. L’entrée du parc pédagogique apporterait, en outre, un peu de trésorerie. « D’ici huit ans, cela devrait s’alléger financièrement, puisque plusieurs emprunts seront remboursés. J’ai fait le choix de construire les bâtiments rapidement pour le confort de travail et celui des animaux. Autre avantage : des charges de mécanisation et vétérinaires moindres. Un calcul à faire, comparé à la somme à investir dans les stabulations. »

Et quand on lui demande quels conseils il donnerait à un jeune qui aimerait s’installer en viande et vente directe ? « Bien réfléchir à son système, aux fourrages surtout, à la race, aux produits que l’on envisage de vendre et aux débouchés. Ceci selon la région, le temps à y consacrer et ses envies. Et il faut être bien épaulé, en termes de main-d’œuvre entre autres, mais également dans son entourage professionnel, par le comptable en particulier, et privé parce qu’il faut être sur tous les fronts en même temps. Mais si on est motivé, faut se lancer car des producteurs de viande, il en faut ! »

En projet : une ferme pédagogique et un accueil de camping-cars pour développer encore la clientèle. (©TNC)