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Gaz à effet de serre

Méthane : à quelle sauce vont être mangés les éleveurs irlandais ?


TNC le 06/05/2024 à 05:02
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Le ministère de l'agriculture d'Irlande du Nord propose des primes pour les éleveurs parvenant à avancer l'âge d'abattage des bovins de boucherie afin de réduire les émissions de carbone. (© Hedvika)

Un peu partout en Europe, les injonctions à diminuer les troupeaux bovins font frémir les éleveurs. « Et si c’était bientôt notre tour ? », ne peuvent s’empêcher de penser les éleveurs français. Mais après le tollé suscité par les annonces d’abattage massif en Irlande, la filière semble peu à peu se structurer autour des organismes techniques pour essayer de concilier élevage et émissions de méthane.

Les éleveurs irlandais ont les oreilles qui sifflent. En juin dernier, une fuite du ministère de l’agriculture préconisait des abattages massifs de bovins – environ 200 000 vaches laitières sur 3 ans – pour limiter les émissions de gaz à effet de serre du secteur. Cette saignée sur le troupeau irlandais conduirait à une diminution du cheptel national de l’ordre de 13 %. L’objectif : proposer aux éleveurs des abattages volontaires en échange de dédommagement. Et pour cause, l’agriculture est à l’origine de plus du tiers des émissions de GES du pays.

Mais face au tollé suscité, difficile pour le gouvernement de maintenir sa posture. Le ministre en charge de l’agriculture a rapidement qualifié le rapport de « scénario », précisant que la décision finale n’était pas encore actée. Sans parler du coût de la mesure. Pour faire passer la pilule, le rapport envisageait un dédommagement de l’ordre de 600 millions d’euros !

Si la perspective des abattages massifs semble derrière les Irlandais, la question du méthane reste d’actualité. Conformément aux accords de Paris, l’Irlande s’est engagée à atteindre la neutralité carbone à horizon 2050. Sur une île qui compte plus de vaches que d’habitants, autant dire que le pays n’y parviendra pas sans embarquer les éleveurs.

Pour répondre à ces défis, l’agence irlandaise chargée de la recherche et développement en agriculture (Teagasc) redouble d’inventivité. Et parmi ses pistes, la réduction de l’âge d’abattage des bovins viandes tient une bonne place.

Encadrer l’âge d’abattage ?

« Actuellement, l’âge moyen à l’abattage des bœufs irlandais est de 26 mois. L’objectif est de réduire ce délai à 22-23 mois d’ici 2030. On estime que pour chaque mois de réduction de l’âge moyen national à l’abattage, la diminution équivaut aux émissions d’environ 100 000 vaches », estime le Dr Peter Lawrence sur le site de l’Institut technique.

L’abattage à 26 mois peut surprendre les éleveurs français, coutumiers des finitions à 16 ou 18 mois en jeunes bovins, mais il s’explique par le fait que les Irlandais donnent davantage dans la production de bœufs de plus de deux ans.

Opter pour un abattage à 24 mois, plutôt qu’à 27, permet de réduire les émissions de méthane par animal de l’ordre de 19 kg. Car l’alimentation est le principal précurseur de méthane. En bref, plus l’animal est gros, plus il mange, et plus la fermentation ruminale est importante. « Un projet mené par Teagasc a établi que pour une ration de finition en intérieur, les bovins de boucherie produisent en moyenne 230 g de méthane par jour, soit l’équivalent de 22 g de méthane pour chaque kilo de matière sèche ingérée », poursuit l’institut dans une note de synthèse.

Pour Peter Lawrence, cette contrainte peut même être l’occasion de gains de productivité. Des travaux, pour mettre en place des index de précocité, sont en cours. « La récente révision des index de sélection bovine inclut désormais un « âge de fin » comme nouveau critère d’évaluation ». Une manière de sélectionner les animaux les plus performants sur un temps donné pour réduire l’âge d’abattage, tout en limitant les pertes potentielles en poids de carcasse.

Le ministère de l’agriculture d’Irlande du Nord s’est d’ailleurs engagé dans cette voie. Depuis le 1er janvier 2024, les éleveurs abattant leurs bovins de boucherie avant un âge limite bénéficient d’une prime. Le programme s’étend sur quatre ans, avec un âge cible à 30 mois pour la première année. « À partir d’avril 2024, le taux de paiement sera de 75 £ par animal éligible », précise le département de l’agriculture et des affaires rurales. À l’issue des quatre ans, la prime sera octroyée uniquement aux bovins abattus avant 26 mois.

Mais cette injonction est acceuillie froidement par les agriculteurs. Certains lui reprochent de favoriser l’utilisation de concentrés pour la finition des animaux, au détriment de l’herbe. D’autres y voient une manière sournoise d’encourager les éleveurs à diminuer leur chargement.

Miser sur les additifs

Plus difficile à encadrer, l’alimentation figure néanmoins parmi les leviers proposés par le Teagasc. Si l’Irlande est le pays du pâturage, la maîtrise de ce dernier permet de limiter les émissions de méthane. Plus l’herbe monte, moins elle est digestible, et plus les émissions de méthane entérique augmentent. La gestion du pâturage, couplée à l’introduction de plantes plus digestibles, comme le trèfle, peut être une voie.

Car même si le trèfle est l’emblème de l’Irlande, ce dernier est assez peu présent dans les prairies. En plus de répondre à une partie des besoins en azote des prairies, « le trèfle, le plantain et la chicorée contiennent des composés végétaux qui ont potentiellement des impacts négatifs sur l’activité des microbes ruminaux impliqués dans la production de méthane », détaille l’institut technique.

Algues, graisses et autres additifs sont également étudiés de près pour bénéficier d’inhibiteurs de production de méthane entérique.

Vers la sélection de vaches propres

Le Teagasc a également entrepris d’identifier les individus plus ou moins émetteurs de méthane, en croisant la consommation alimentaire aux émissions de l’animal. Et la donnée semble offrir des marges de manœuvre aux éleveurs. Les animaux les plus efficaces produisent 30 % de méthane en moins que les plus émetteurs, à performances égales ! « Il existe un potentiel important pour exploiter la variation génétique des émissions de méthane au sein du troupeau national, afin de provoquer des réductions permanentes et cumulatives de la production de méthane des futures générations de bétail », poursuit l’institut. Des travaux sont également en cours pour comprendre la biologie de la production de méthane.

Si nous n’en sommes pas encore à sélectionner les bovins selon leurs émissions, la génétique permet d’ores et déjà des gains de performances zootechniques, qui sont une voie vers la réduction des émissions de méthane.