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Du poulet pour les cochons

20 ans après l’interdiction, le retour des farines animales


AFP le 03/09/2021 à 16:23

Héritage de la crise de la vache folle, l'interdiction européenne de nourrir les porcs et les poulets avec des farines animales est sur le point d'être levée sous conditions. Un sujet éminemment sensible pour les éleveurs et les consommateurs.

Dès la semaine prochaine, il sera possible, en principe, de nourrir volailles et porcs avec des « protéines animales transformées » (PAT), selon un texte publié le 18 août au Journal officiel de l’UE. Et ce, deux décennies après l’interdiction européenne, en 2001, de toutes les farines animales destinées à l’élevage, dans la foulée de la crise de la « vache folle », qui a durablement traumatisé les consommateurs.

Les poissons d’élevage et les animaux de compagnie pouvaient déjà être nourris avec ces farines, des parties de carcasses broyées (museaux, pattes, os…) issues d’animaux sains. L’interdiction reste valable pour les ruminants, herbivores : bovins, bien sûr, mais aussi chèvres et moutons.

De fait, il ne s’agit pas d’un retour à la situation qui prévalait dans les années 1990, où les os de bovins malades, infectés ou morts étaient broyés pour nourrir des élevages de la même espèce — conduisant à la propagation de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), dont le variant humain, la maladie de Creutzfeld-Jacob, pouvait se transmettre aux consommateurs.

« Un peu gore »

« À l’époque, les farines animales, c’était un peu « gore » », car elles étaient fabriquées à partir de bêtes retrouvées mortes sur les fermes ou euthanasiées, mais « on n’est plus du tout sur le même produit », décrit Christiane Lambert, la présidente de la fédération des syndicats agricoles majoritaires européens (Copa) et du syndicat français FNSEA. À la tête d’une exploitation porcine dans l’ouest de la France, elle se dit prête à nourrir ses animaux avec des PAT du moment qu’il y a une « rigueur absolue » dans les circuits d’approvisionnement.

« Des conditions strictes devraient s’appliquer lors de la collecte, du transport et de la transformation de ces produits, et des échantillons devraient être régulièrement prélevés et analysés afin d’éviter tout risque », selon le texte européen, basé sur les avis des agences sanitaires.

Sur proposition de la Commission européenne, la quasi-totalité des Etats membres ont donné leur feu vert en mai à cet assouplissement. L’Irlande et la France se sont abstenues.

En France, la situation reste en suspens, le ministère de l’agriculture indiquant vendredi à l’AFP qu’il vient de demander un nouvel avis à l’agence sanitaire nationale pour « se positionner » sur le sujet. Dans un avis publié cet été, cette dernière recommandait de « respecter strictement » la règle de séparation des espèces, de l’abattoir jusqu’à la livraison chez l’éleveur. Il s’agit notamment d’éviter tout cannibalisme : ne pas donner à manger du cochon aux cochons.

Alternative au soja brésilien ?

Bruxelles et les professionnels mettent en avant que ces produits peuvent se substituer partiellement à l’importation de protéines végétales comme le soja brésilien. Un argument qui porte, en pleine flambée du prix des céréales et oléagineux.

« Nos coûts, à 70 %, c’est l’alimentation. Quand on peut chercher des gains, même des petits centimes, on va aller les chercher », déclare à l’AFP François Valy, président de la section porcine de la FNSEA. 

La réintroduction des farines animales « ne va pas se faire comme ça, en claquant des doigts », tempère Anne Richard, de l’interprofession française des volailles de chair. « Des tas de cahiers des charges interdisent les farines animales pour rassurer les consommateurs (…) Ce n’est pas immuable mais le sujet n’a pas encore été discuté collectivement par les opérateurs », précise-t-elle.

Pour le syndicat Confédération paysanne, hostile à l’élevage industriel, cette ré-autorisation ouvre la porte à des dérives. Qui empêchera une entreprise désireuse de « faire du pognon » de s’affranchir des limites imposées, s’interroge son porte-parole, Nicolas Girod. « Qu’est-ce qui a provoqué la vache folle ? C’est la recherche de profit, de volume, de productivité. » Pour Matthias Wolfschmidt, de l’ONG Foodwatch International, on ne peut totalement exclure des cas de cannibalisme ni de voir des ruminants illégalement nourris avec ces farines. Un risque trop élevé pour l’organisation alors que la maladie de la vache folle a finalement disparu en Europe, à l’exception de cas isolés.