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Reportage

Gourmandes en énergie, les sucreries s’empressent d’allumer leurs chaudières


AFP le 09/09/2022 à 16:19
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L'année dernière, la récolte de betteraves avait démarré dix jours plus tard (photo prise en 2021) (©TNC)

Jamais les chaudières de la sucrerie de Bucy-le-Long, dans l'Aisne, n'ont été mises en route si tôt : la transformation des betteraves en minuscules cristaux a démarré dès le 8 septembre, dans l'espoir d'échapper à d'éventuelles restrictions d'énergie cet hiver.

Dans la cour, le ballet des camions qui déchargent des milliers de betteraves terreuses a commencé à 5h du matin. À la fin de la journée, près de 17 000 tonnes auront été râpées, transformées en jus sucré, puis cristallisées à haute température.

« Toutes ces réactions à chaud sont très énergivores », explique Thomas Doudoux, directeur de cette sucrerie du groupe Tereos dans les Hauts-de-France, qui consomme autant d’énergie quotidienne qu’une ville de 100 000 habitants, et dont les chaudières sont alimentées au gaz.

Son approvisionnement pourrait faire défaut en cas de restrictions cet hiver, si les livraisons de gaz russe se tarissent totalement : le gouvernement a appelé les industriels comme Tereos, le numéro 1 français du sucre, à faire des efforts pour réduire leur consommation.

Le groupe a donc donné le coup d’envoi de sa campagne de récolte et de transformation des betteraves sucrières jeudi, « une bonne dizaine de jours plus tôt que d’habitude », souligne Henri Bénard, directeur des opérations agricoles du groupe coopératif en Europe.

« En transformant une partie maintenant, nous finirons notre saison plus tôt, et notre consommation sera plus faible, voire nulle à partir du 10 janvier », au cœur de l’hiver, ajoute-t-il. D’ici là, l’usine tournera à pleine intensité, 24 h/24 h pendant quatre mois.

Suivant un processus bien rodé, les racines des betteraves où se concentre la saccharose sont d’abord râpées en fines lamelles, appelées « cossettes ».

Vient ensuite l’étape clé de la diffusion, qui permet d’extraire le sucre : les cossettes sont brassées dans de gros cylindres jaunes, et les molécules migrent de la plante vers une eau à 70 degrés, qui s’enrichit en sucre.

Odeur de caramel

C’est à ce moment-là que les chaudières entrent en jeu : grâce à l’évaporation, le jus se transforme en un sirop concentré – faisant flotter une légère odeur de caramel sur le site – avant d’être cristallisé.

Le gaz ne manquera peut-être pas dans la sucrerie, qui fonctionne depuis 160 ans. Mais il suffit d’une coupure pour enrayer cette « grosse machine », qui tourne à feu continu et fournit de gros industriels comme Haribo ou Coca-Cola.

« On ne peut pas juste appuyer sur le bouton et arrêter : il nous faut plusieurs jours, et une fois que c’est fait, c’est très difficile de relancer une usine », explique Thomas Doudoux.

Pour ne pas prendre de risque, il a fallu tout avancer : le démarrage, l’arrivée des 300 employés et bien sûr, l’arrachage des betteraves. Plus d’un millier des 12 000 coopérateurs de Tereos ont accepté de fournir en avance leurs racines.

À quelques kilomètres de là, dans un champ à moitié recouvert de larges feuilles vertes, un tracteur désherbe depuis l’aube puis prépare le terrain pour Jean-François Langlet, qui déterre sans difficulté les racines enfouies dans le sol grâce à son arracheuse.

Selon le calendrier initial, sa récolte devait s’étirer d’octobre à décembre. En sortant de terre plus tôt, « les betteraves vont pousser moins longtemps, elles seront moins grosses et il y aura moins de sucre », résume Henri Bénard. Or à l’arrivée, c’est bien le poids et le taux de sucre des racines qui déterminera le prix payé au coopérateur.

Pour motiver cet effort, Tereos a décidé de verser une indemnité à ceux qui récoltent précocement, ce qui ne « compense pas tout », reconnaît Henri Bénard.

C’est un pari pour les coopérateurs, car un peu de pluie dans les prochaines semaines pourrait relancer la croissance de cette plante résistante, qui pousse dans les terres profondes du nord de la France.

Jean-François Langlet n’a pas souhaité attendre, et a mis sa machine en route dès le 8 septembre : le manque d’eau lié à la sécheresse historique de cet été a entamé le potentiel de ses 110 hectares de betteraves, avec un rendement diminué de 10 à 20 %, impossible à rattraper selon lui.

Récolter sur un sol sec en ce début de saison, explique-t-il, c’est aussi consommer « moins de gasoil », dont le prix a lui-aussi flambé.