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Reportage dans le Limousin

Dephy Ferme : expérimenter à plusieurs, ça a du bon !


TNC le 05/02/2021 à 18:03
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Sur les 53 ha cultivables de son exploitation, Grégoire Carde cultive notamment de l'avoine blanche.  (©Yoann Frontout)

En Limousin, une dizaine d’agriculteurs accompagnés par la Fédération des Civam en Limousin s’appuient sur le dispositif Dephy pour améliorer leurs techniques agricoles et s’entraider. Du déprimage des céréales à la reconnaissance des adventices en passant par des réflexions sur le travail du sol et le choix des assolements, l’émulation du groupe porte ses fruits.

Pour avancer sur la réduction des produits phytosanitaires, le plan Ecophyto s’appuie sur un réseau d’exploitations agricoles appelé Dephy Ferme*. Sur tout le territoire français, ce sont environ 3 000 agriculteurs qui se sont engagés volontairement sur cette problématique et qui échangent ensemble, s’entraident, se forment et communiquent sur leurs pratiques. En Limousin, un groupe d’agriculteurs « cultures économes », porté par les Civam, les Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural, s’est rattaché en 2016 à cette initiative. Derrière la question de l’usage des produits phytos, c’est l’opportunité d’avoir des fonds pour avancer sur de nombreux enjeux : la recherche d’autonomie par exemple (transformation des produits, échanges de semences…), la pérennisation de sa ferme aussi, notamment sa résilience face au changement climatique et, bien sûr, la gestion des adventices.

Un groupe hétérogène

S’il s’agit de progresser ensemble, chaque agriculteur développe son propre modèle agricole – la majorité en bio, certains en conventionnel – et les exploitations ne se ressemblent pas, comme en témoignent celles de Grégoire Carde et Élie Charrieau. Tous deux sont installés dans le sud de la Haute-Vienne, le premier aux Cars, le second à Pageas où il gère l’EARL La belle botte. Débutant en 2008 par de l’élevage bovin, Grégoire Carde vend son troupeau en 2011 et se tourne vers les grandes cultures, en circuit long. Il entame une conversion bio en 2015. Sur les 53 ha cultivables de sa SAU, il produit aujourd’hui de l’épeautre, de l’avoine, du blé, du colza et sèmera, dans une poignée de jours, du blé de printemps.

Élie Charrieau s’est quant à lui directement installé en bio en 2013. Sur 50 ha, il fait du maraîchage, de l’élevage ovin avec 24 ha en prairies et des grandes cultures sur 24 ha. Tout est transformé et vendu à la ferme. En dehors du tournesol, les céréales sont cultivées en association avec des légumineuses selon un schéma de rotation bien rodé. Sur cinq ans, il enchaîne ainsi une prairie temporaire de deux ans avec une culture d’été (tournesol par exemple), une d’automne (blé avec féverole, triticale avec pois…), une de printemps (cameline avec lentille entre autres) puis une d’automne.

Parcelle de blés anciens (semences paysannes) en association avec du trèfle chez Elie Charrieau.  (©Elie Charrieau)

Le labour ? Avec parcimonie

Justement, pour la gestion des adventices, Élie Charrieau s’appuie avant tout sur la diversité et la rotation. Il laboure une fois durant cette dernière, « souvent pour casser la prairie » et réalise un passage de pseudo-labour. S’ajoute, pour la lutte physique, la herse étrille. « Plus le temps passe moins je la passe car je sème des engrais verts dans une bonne partie des céréales » précise-t-il.

De son côté, Grégoire Carde, qui résonne moins en termes de rotation, cite en premier lieu le labour dans sa stratégie de gestion des adventices. Il questionne toutefois sa pratique : « je ne crois pas que je pourrais y parvenir entièrement, mais j’aimerais bien pouvoir m’en passer. » La raison ? « Les accidents : le risque que la pluie ne lessive le sol. » Cet automne par exemple, après avoir labouré puis semé, les champs se sont creusés de rigoles… « Dans le groupe, il n’y a pas un dogme du non labour à tout prix » souligne Salomé Caupin, l’animatrice Civam du groupe. Grâce notamment aux financements du plan Ecophyto, les agriculteurs ont pu faire venir deux agronomes pour avoir des réponses aux questions relatives au sol de leurs parcelles et à sa gestion. « Cela a permis de relativiser son travail occasionnel » ajoute-t-elle.

Un bénéfice insoupçonné de la déchaumeuse

Aux formations s’ajoutent les retours d’expériences qui enrichissent tout autant les agriculteurs. Grégoire Carde prend pour exemple le labour superficiel. « Après le dernier passage de herse étrille j’essaie, suivant l’interculture qu’il va y avoir après, de mettre du trèfle dans les céréales, à la volée. Cela permet d’avoir une dérobée au moment où l’on moissonne et de ne pas laisser le champ libre aux adventices. » S’il est bien implanter, le trèfle revient. Ou plutôt revenait : une année, les repousses n’ont plus pointé le bout de leur nez. La cause a été trouvée il y a peu, lors d’une journée d’échanges : un membre du groupe a expliqué comment la charrue déchaumeuse qu’il employait semblait favorisé grandement le retour du trèfle dans ses parcelles.

Les expériences ratées permettent également d’avancer.

C’est ce qui a permis à Grégoire Carde de faire le rapprochement : « j’avais en effet revendu la mienne et je n’aurai pas fait le lien tout seul. Depuis, j’en ai recommandé une ! » Les expériences ratées permettent également d’avancer. « Nous avons par exemple tenté à plusieurs de faire du pois chiche, raconte Élie Charrieau. Au final, nous l’avons tous loupé mais le fait d’avoir essayé chacun avec des pratiques différentes nous a convaincus de ne pas retenter l’expérience ! » Il pointe ainsi du doigt le gain en confiance qu’apporte le groupe, également décisif lorsqu’il a choisi de redimensionner son cheptel par rapport à la surface cultivée, une décision difficile à prendre !

Grégoire Carde s’est également lancé dans l’agroforesterie. Sur cette parcelle, il cultive de l’épeautre entre des rangées de châtaigniers. (©Yoann Frontout)

Déprimer les céréales pour les revigorer

Les agriculteurs réalisent également des tours de fermes, permettant parfois de se former à de nouvelles techniques comme le déprimage des céréales. Pratique ancienne devenue peu commune, elle consiste à faire pâturer des céréales (traditionnellement en pur), en début de tallage, par des ovins. Une pratique qu’Élie Charrieau a coutume de réaliser chaque année et qui a séduit un des agriculteurs du groupe. Il l’a pratiquée avec ses génisses sur toutes ses céréales, même le méteil, et avec succès ! Pour les pois par exemple, pas d’oïdium repéré contrairement à la parcelle témoin. Parmi ses avantages, le déprimage permet d’éliminer les feuilles malades et d’éviter un traitement fongicide.

Dans une logique de lutte prophylactique, les agriculteurs ont également pu se former à la reconnaissance des adventices et à ce que leur survenue peut signifier. « L’objectif est de les identifier à tous les stades mais également d’estimer l’importance de chaque variété » précise Grégoire Carde. Les parcelles des uns et des autres sont étudiées à la loupe et le groupe escompte poursuivre investigations et formations à l’avenir. « Nous allons également continuer d’avancer sur la thématique des rotations, il y a plein d’idées qui germent ! » conclut Élie Charrieau.

*Démonstration, Expérimentation et Production de références sur les systèmes économes en phytosanitaires

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