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Marché des céréales

Comment la Russie est redevenue le grenier à grains de la planète ?


Tendance des marchés le 28/02/2018 à 18:26
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En quelques années, la Russie est redevenue un mastodonte de la production de blé. Après avoir doublé sa production en cinq ans pour atteindre son record historique en 2017 avec 84 Mt, l’ambition russe pourrait s’élever à 120 Mt. Pour les producteurs français, l’origine russe et sa possible influence sur les marchés seront durablement à surveiller.

En 2017, la Russie a produit 84 Mt de blé tendre confirmant sa place de quatrième producteur mondial et s’imposant surtout comme le premier exportateur.

Avec ce nouveau record, la Russie renoue avec le passé glorieux de l’ère soviétique durant laquelle le pays était « le grenier à grain de la planète », avant que le bloc soviétique n’entraîne dans sa chute, au début des années 90, sa puissance agricole. À l’époque, 25 % de la valeur de la production provenait de seulement 2 % des surfaces, celles qui étaient privées.

Dès 2001 lors de son arrivée au pouvoir, Vladimir Poutine explique son intention de redresser l’agriculture russe et met en place des politiques agricoles s’orientant vers le marché : les terres sont partiellement libéralisées, des « agro-holdings » de grande taille se développent et les autorités russes soutiennent les prix en instaurant des barrières tarifaires à l’entrée du marché.

Depuis 2014, la crise ukrainienne à l’origine de l’embargo sur les importations européennes a renforcé cette ambition russe pour son agriculture. Entre 2013 et 2020, le Kremlin a budgétisé 52,5 Mds€ pour sa politique agricole, en soutenant la modernisation des matériels agricoles et moyens techniques nécessaires à l’augmentation de la production, mais aussi plus globalement le développement des zones rurales. Les agriculteurs sont ainsi soutenus par des aides à l’hectare, des primes à la qualité du lait, des aides à la production de viande.

Le résultat est spectaculaire : la production de blé a doublé en seulement cinq ans. Celle de sucre a été multipliée par quatre en dix-huit ans.

« Au regard du potentiel de surfaces encore non exploitées et de l’ambition portée par les autorités, il semble acquis que la Russie pourra produire, à plus ou moins court terme, autour de 120 Mt de blé », explique Alexis Brault, consultant chez ODA. « Reste à savoir quand ? », questionne le spécialiste. Au rythme actuel de développement, et sans incident climatique majeur, ce niveau de production pourrait être atteint dès 2022. Dans le plus lent des scénarios envisagés, ce serait pour dans 10 ans.

Ceci dit, cette ambition à 120 Mt reste un défi pas si évident à relever. Certes, le territoire russe est immense. Des dizaines de millions d’hectares restent sous-exploités ou en friche. Mais sur une bonne majorité des terres du nord du pays, soumises à un climat inapproprié, toute agriculture productive est impossible. Au sud, la plupart des régions doivent faire face soit à des hivers difficiles, soit à des printemps chauds et secs, voire les deux.

Par ailleurs, l’exploitation de terres en friches plus au nord fera mécaniquement grimper les coûts de revient du blé rendu au port. « Pour l’exportation, le coût du transport des grains vers les portiques de chargement reste un facteur limitant de compétitivité. Certes, les céréaliers russes arrivent à produire du blé pour moins de 100 €/t. Mais le développement de la production dans des zones de plus en plus éloignées des sites de chargements portuaires fait augmenter le coût moyen de transport. Pour certains secteurs, il faut déjà compter 60 €/t de transport. »

Ceci dit, la Russie n’est pas prête à rencontrer des problèmes de compétitivité par rapport aux origines européennes. De plus, le pays parvient à fournir une qualité appréciée. Les achats de blé par le Gasc, l’office public égyptien, en témoignent. Pour la campagne 2017-2018, jusqu’à début février 2018, 80 % des blés importés par le Gasc provenaient de Russie alors que ces origines ne représentaient qu’un tiers des achats en 2014-2015.

« La Russie est proche des zones de consommation de l’Afrique du nord et du Moyen-Orient », commente Alexis Brault. « Maintenir nos parts de marchés sur ces débouchés sera de plus en plus difficile ». En revanche, « le développement de l’Afrique sub-saharienne favorisera géographiquement les productions européennes, et donc françaises ».