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Après une période d’effervescence, les brasseries artisanales à la peine


AFP le 21/06/2024 à 10:15

Entre le Covid qui a fermé les bars puis la flambée des ingrédients, des emballages, du transport et de l'énergie, les coups durs se sont enchaînés pour les brasseries artisanales comme celle de Fabrice Le Goff, installée à Saint-Denis, près de Paris.

Inspirée par l’engouement pour de nouveaux types de bières aux Etats-Unis, la création de petites structures s’était envolée à partir des années 2000, avec « une période de folie en 2016-2018 », rappelle Magali Filhue, déléguée générale du lobby Brasseurs de France.

Le pays compte désormais 2 500 brasseries. Mais « en 2023, on a eu plus de fermetures que d’ouvertures », ajoute Magali Filhue.

Pendant la pandémie, « tout n’a pas été catastrophique, on s’est juste beaucoup adapté », raconte Fabrice Le Goff: son équipe a d’abord produit moins de fûts pour les bars et plus de bouteilles pour la consommation à la maison, puis l’inverse aux déconfinements; elle a aussi adopté les canettes, plus faciles à transporter par les particuliers.

L’achat d’une machine à mettre la bière en canette, installée au bout de l’allée de 12 cuves où fermente la boisson, a coûté environ 150 000 euros.

Fûts, étiquettes, salaires

La guerre en Ukraine a ensuite alimenté une envolée des cours du malt et du houblon, deux ingrédients majeurs, mais aussi du verre, des fûts, des étiquettes, de l’énergie, et, avec l’inflation généralisée, des salaires.

Pendant ce temps-là, « cela fait deux ans qu’on n’a pas touché à nos prix de vente » pour ne pas effaroucher les clients, remarque M. Le Goff.

Les bières artisanales sont souvent plus chères que les industrielles, 3,50 euros la bouteille de 33 cl chez Brasserie du Grand Paris par exemple.

Les prix des matières agricoles se sont depuis stabilisés. Mais pas celui du transport. Et celui de l’énergie reste instable : sa facture d’électricité est passée de 30 000 euros à 120 000 euros en 2023, avant d’être renégociée récemment à 40 000 euros.

A chiffre d’affaires équivalent, « on rogne sur nos marges », explique le cofondateur de la brasserie, créée en 2011.

Résultat : ils renoncent à des embauches pour compléter son équipe de sept équivalents temps plein. A ce stade de développement, comme prévu par le plan stratégique initial, « j’aimerais bien un ou deux commerciaux et de l’aide pour la communication », rapporte M. Le Goff, mais « on est obligé de raisonner par excès de prudence ».

« On espère sortir d’une année difficile en 2024 mais la météo n’est pas extraordinaire », le temps maussade ne favorisant pas la consommation de bières en terrasse, « et économiquement, la période reste compliquée », relève Magali Filhue auprès de l’AFP.

Une brasserie sur dix

Le secteur est aussi probablement « arrivé à une sorte de palier », avance la responsable. Un argument rejeté par Jean-François Drouin, président du Syndicat national des brasseries indépendantes (SNBI), qui revendique 850 adhérents.

En France, les bières artisanales représentent à peine 10 % du marché, contre environ 25 % aux Etats-Unis, affirme-t-il : « Il y a de la marge ». Le SNBI, qui alerte depuis 18 mois sur les difficultés de trésorerie de ses adhérents, aux finances moins solides que les industriels, craint la disparition d’une brasserie sur dix cette année.

Dans sa propre entreprise Brasseurs de Lorraine, cofondée en 2003, « même avec 20 ans d’existence, 10 personnes et un million d’euros de chiffre d’affaires, je tire la langue », dit Jean-François Drouin à l’AFP. Idéalement, « il faudrait encore augmenter les prix de 6 % ou 7 % mais la bière doit rester un produit populaire », constate-t-il.

En supermarchés, les ventes ont reculé de 4,5 % en volume en 2023 mais augmenté de 6,1% en valeur selon le cabinet NielsenIQ.

Comme Brasseurs de France, le SNBI aimerait que l’Etat aide les brasseurs artisanaux à surmonter cette mauvaise passe avec par exemple des aides à la trésorerie ou un alignement de la fiscalité sur celle des viticulteurs.

« Malheureusement, on va sans doute être en stand-by au moins jusqu’à la rentrée », note M. Drouin.