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Objectif « Zéro Artificialisation nette »

Quelle agriculture périurbaine ?


Académie d'Agriculture de France le 02/07/2021 à 16:12
Aerial view of Sierentz village in Haut-Rhin - France

(©Getty Images)

L’objectif du « Zéro Artificialisation Nette » est de protéger la biodiversité et l’agriculture contre l’étalement urbain. Il est le plus souvent abordé « de la ville ». Or les espaces agricoles, naturels et forestiers ne peuvent se maintenir que s’ils sont considérés pour eux-mêmes, avec leurs caractéristiques propres, dans le cadre d’un projet de territoire qui prend en compte à la fois la ville et la campagne.

L’objectif du « Zéro Artificialisation Nette » (ZAN) est de protéger la biodiversité et la production agricole face à l’étalement urbain ; il est explicité dans le plan biodiversité de 2018. Un groupe de travail constitué en 2019 par le gouvernement s’est attelé au ZAN pour une prise en compte effective en 2030, et récemment la convention citoyenne a proposé des actions sur ce sujet. L’État doit prendre des dispositions réglementaires mais le sujet a fait débat pour tous les acteurs et pour tous les types de territoires. Alors que la plupart des écrits sur le ZAN se sont demandés comment densifier la ville pour éviter tout étalement, peu de travaux se sont posés des questions précises sur l’organisation du territoire périurbain, qu’elle découle de mesures politiques de gestion des franges urbaines déclenchées par le ZAN ou qu’elle soit souhaitable pour une métropolisation plus sereine.

Conjuguer enjeux, acteurs et échelles

L’analyse du sujet révèle la nécessité à la fois d’une définition plus précise que celle fournie (« Tout ce qui n’est pas considéré comme Espace Naturel, Agricole ou Forestier (ENAF) est artificialisé ») et d’une identification d’indicateurs et de mesures d’évaluation des composantes d’un territoire d’interface multi-acteurs. Pour l’instant, l’agriculture périurbaine semble la grande oubliée dans cet objectif. Les propositions actuelles tendent en effet à vouloir densifier la ville, ce qui peut conduire à supprimer la plupart des espaces de respiration et de biodiversité urbaine, ou à mettre en protection des espaces naturels en périurbain. On n’observe pas de proposition d’organisation de territoire et de planification intégrant l’ensemble des modes d’occupation du sol et des différentes pratiques agricoles, citadines et biodiversitaires qui y sont liées. Par ailleurs, l’agriculture elle-même est facteur d’artificialisation (serres, bâtiments d’élevage, etc.). L’objectif ZAN apparait donc extrêmement compliqué tant par les enjeux (production alimentaire, préservation de la nature, organisation des trames vertes, qualité vie urbaine, etc.) et la multiplicité des acteurs que par les différentes échelles spatiales à prendre en compte.

La relation ville-campagne

La notion de multifonctionnalité de l’agriculture périurbaine a été mise en avant au début des années 2000, puis s’est effacée au début des années 2010 au profit d’une approche des relations ville-agriculture. Les dynamiques contemporaines de l’agriculture périurbaine sont basées sur une coexistence multiforme et co-évolutive avec la ville. Aujourd’hui ces dynamiques combinent à la fois la multifonctionnalité des exploitations agricoles et la contribution de l’agriculture aux fonctions attendues du territoire périurbain. Les tensions et articulations entre ces deux approches caractérisent les relations qui se tissent entre acteurs agricoles et acteurs urbains. Le cas de Montpellier permet de comprendre comment fonctionne un système agraire périurbain viticole, et comment il se trouve progressivement intégré au territoire métropolitain, d’abord par la logique d’aménagement urbain, puis par la dynamique autour du système alimentaire. Ce cas d’étude montre que l’objectif de « zéro artificialisation nette » suppose de combiner plusieurs leviers d’action au sein d’une stratégie cohérente articulant plusieurs domaines : le foncier et l’aménagement, l’organisation économique et la logistique des filières, et la stimulation et la mise en synergie d’une pluralité d’initiatives émanant des acteurs locaux.

L’importance de la maîtrise foncière

Les impacts négatifs des croissances urbaines ont motivé le régulateur public à doter le champ légal de la maîtrise foncière d’un certain nombre d’outils : outils de zonage pour les plus récents (Zone Agricole Protégée ZAP, Périmètre de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains PAEN), qui s’ajoutent aux dispositifs existants de contrôle des transactions (préemptions Safer) ou outils d’usage des sols (droit de l’urbanisme, lois montagne et littoral). Le rythme soutenu des croissances urbaines et le faible recours aux ZAP ou PAEN témoignent des limites de l’exercice institutionnel de régulation : les dynamiques foncières reposent sur des ressorts sociaux et politiques profonds qui tendent à minorer l’efficience d’actions publiques centralisées ou non consensuelles. Un maire peut interdire la construction mais pas l’attente spéculative, dont l’échéance porte quelquefois au-delà des mandats électifs ; un régulateur public peut décider de protéger un usage agricole mais pas d’intervenir sur les prix de marché, fonciers ou des denrées, qui déterminent la pérennité des exploitations. Une décision centralisée est souvent inefficiente car elle peine à prendre en compte les spécificités géographiques, politiques ou institutionnelles locales, nombreuses et fondamentales dans la légitimité ressentie de la régulation des usages des sols. Finalement, la protection des espaces agricoles n’est pas un problème appelant automatiquement à des innovations institutionnelles comme les PAEN, mais plutôt un choix public qui se situe dans la sphère du débat entre intérêt privé et valeurs collectives. Donc, plus qu’une inscription dans un PLU, c’est, dans un premier temps, la construction d’un projet agriurbain qui favorisera ensuite des engagements des collectivités en matière de protections foncières agricoles.

L’apport du Projet Alimentaire Territorial

Le Projet Alimentaire Territorial (PAT) constitue un outil efficace dont se sont saisies nombre de métropoles françaises.  Avec l’exemple du Grand-Clermont et du PNR du Livradois-Forez, on observe une réciprocité territoriale entre une métropole inscrite en limite d’une vaste plaine céréalière (la Limagne) et un territoire d’élevage bovin de moyenne montagne en difficulté, qui entend créer les conditions d’une transition agricole et écologique. Les engagements concernent les reconversions de culture, les politiques de valorisation (transformation des produits), une relocalisation des productions maraîchère, arboricole et viticole, une restructuration des circuits de distribution pour une plus grande suffisance alimentaire et une qualité de vie retrouvée. Ces PAT s’inscrivent donc dans une démarche de projets situés qui développe des stratégies territoriales et des formes renouvelées d’organisation agricole.

Des projets de territoire ville-campagne

Ainsi, la mise en œuvre de l’objectif ZAN passe par une reconnaissance des espaces agricoles, naturels et forestiers pour eux-mêmes, dans le cadre d’un projet de territoire qui prend en compte à la fois la ville et la campagne. Les exemples présentés montrent des démarches qu’on peut qualifier de projets de territoire, à la fois intégrés, locaux et spatiaux. Projets intégrés dans la mesure où ils sont capables de fédérer les acteurs d’un même territoire autour d’objectifs communs au-delà de leurs divergences de départ : vitalité de l’agriculture, multifonctionnalité, services écosystémiques, filières, environnement, aménités urbaines, mais aussi alimentation locale. Projets locaux s’ils sont gouvernés localement, en tenant compte des spécificités géographiques et humaines locales, avec une implication des acteurs et une relocalisation des productions, comme visent les Projets Agricoles Territoriaux. Projets spatiaux, c’est-à-dire prenant en compte leur inscription visible dans le territoire, sa forme, son paysage, considérant chaque espace avec ses caractéristiques propres, étudiant les effets de répartition et d’interfaces et pas seulement les surfaces. Ces approches par le projet urbain, architectural et paysager se retrouvent dans les schémas de « villes-archipels » (Rennes, Perpignan, Strasbourg) avec des unités urbaines identifiées séparées par un espace ouvert continu et fonctionnel. Les projets de « fronts urbains », au-delà de limites réglementaires arrêtant l’urbanisation, traitent aussi les interfaces ville-campagnes comme des espaces à part entière (Montpellier, Île-de-France). Mais il reste souvent à trouver les outils efficaces de mise en œuvre de ces projets.

Le périurbain est un territoire complexe, aux interactions multiples : il doit intégrer les jeux d’échelles de fonctionnement, une organisation paysagère planifiée et la mise en place de stratégies adaptatives ville-campagne. Le ZAN apparaît comme un objectif pouvant permettre de reconsidérer les notions de durabilité des territoires et des paysages anthropisés.

Cet article est issu de la séance publique organisée par l’Académie d’Agriculture de France le 14 avril 2021.

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