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À l'approche du salon de l'agriculture

Loin de son image folklorisante, l’agriculture, une entreprise comme une autre


AFP le 22/02/2023 à 09:04

Le père, la mère et le fils qui prendra la suite. Dans la famille agricole, ce modèle traditionnel s'efface au profit de formes d'entreprises éloignées de l'image qu'ont les Français de l'agriculture, souligne le sociologue François Purseigle, co-auteur, avec Bertrand Hervieu, de l'ouvrage « Une agriculture sans agriculteurs ».

François Purseigle, professeur des universités à l’École nationale supérieure agronomique de Toulouse (INP-ENSAT), a coécrit avec Bertrand Hervieu « Une agriculture sans agriculteurs », publié en 2022 aux Presses de SciencesPo.

Le Salon de l’agriculture est l’occasion, notamment pour les responsables politiques, de célébrer l’exploitation familiale à la française. Ce modèle est-il en train de disparaître ?

François Purseigle : Plus que l’agriculture familiale, c’est véritablement le modèle de l’agriculture conjugale, c’est-à-dire une agriculture portée par un couple et qui est transmise ensuite à des enfants, qui s’efface dans la société française.

Il y a de moins en moins de chefs d’exploitation et d’actifs familiaux (- 27,5 % en dix ans selon le dernier recensement agricole). À côté, on se rend compte que ce sont pas moins de 700 à 750 000 salariés qui travaillent dans les exploitations (en CDI, CDD et contrats saisonniers, sans compter ceux qui interviennent par le biais de sociétés extérieures, NDLR).

Sur la brique de lait aujourd’hui, on montre toujours papa et maman qui font le lait, alors que dans bon nombre d’exploitations, ce n’est plus le cas.

Il faudra que demain sur le paquet de pommes de terre ou le sachet de salade, on donne à voir davantage le couple patron-salarié pour que les Français aient conscience de ce changement. Et que ce n’est pas un drame.

Les responsables agricoles vantent eux-mêmes un modèle présenté comme familial, de taille modeste.

François Purseigle : On a une profession agricole qui s’est enfermée dans une image folklorisante en décalage avec certaines évolutions. De la Confédération paysanne à la FNSEA, tout le spectre des organisations professionnelles a souhaité pendant très longtemps jouer de ses singularités : il fallait protéger les agriculteurs français parce qu’ils n’étaient pas comme les autres.

Or on a une agriculture qui se banalise dans ses formes d’entreprises et ses stratégies entrepreneuriales, qui sont aux antipodes de l’imagerie populaire paysanne.

Montages sociétaires complexes, holdings, séparation des actifs productifs et du foncier, investisseurs… Le tableau que vous dressez donne l’impression qu’il sera plus difficile pour des jeunes de s’installer demain comme chef d’exploitation et d’avoir la propriété de la terre.

François Purseigle : L’insertion dans les métiers de l’agriculture n’empruntera pas toujours les voies de l’installation telle qu’on l’imagine jusqu’à présent. La plupart de ceux qui veulent rentrer dans la profession, et c’est déjà le cas, vont le faire comme salariés agricoles.

Dans l’esprit des Français, un agriculteur est chef d’exploitation. Or un agriculteur demain égalera un chef de culture, un chef d’atelier, un salarié.

Si on veut une production française forte sur les marchés, il faudra que la production se fasse autrement. Elle ne pourra pas reposer uniquement sur papa, maman et un fiston, cela sera plus compliqué que ça.

La création et la reprise d’entreprises par des non issus du monde agricole est indispensable. Le vivier constitué par les enfants des agriculteurs ne suffira pas.

Le modèle familial avait le mérite de traverser les crises vaille que vaille. La mutation du métier risque-t-elle de modifier cet équilibre précaire ?

François Purseigle : Pourquoi ces exploitations étaient résilientes ? Très souvent, parce qu’il y avait des formes de bricolage qui étaient acceptées, parce que le grand-père montait sur le tracteur, les parents retraités travaillaient sur l’exploitation. Il y avait des formes de travail informel qui ne sont plus tolérées par la société et les familles elles-mêmes. Les agriculteurs ne se payaient pas, allaient piocher dans leur compte courant pour chercher de la trésorerie.

Dans les familles agricoles, on ne se sacrifie plus sur l’autel de la résilience de l’exploitation familiale.

Si on veut parvenir au renouvellement des actifs, il faudra ouvrir un peu plus les vannes et accepter des échecs.