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Académie d'Agriculture de France

Les paysages agricoles peuvent-ils devenir des patrimoines ruraux ?


Pierre-Marie TRICAUD, membre de l'Académie d'Agriculture de France le 30/03/2021 à 08:26
Aerial panorama over idyllic green summer farm fields crops pasture

(©Getty Images)

La notion culturelle de paysage, qui porte traditionnellement l'idée de conservation, s'est ouverte récemment à celle de transformation. Comment les politiques de paysages, notamment agricoles, peuvent-elles prendre en charge ces deux orientations ? L'AAF nous éclaire au travers d'une publication "Question sur...".

Les politiques publiques de paysage sont-elles des politiques patrimoniales ?

La notion de paysage est née de la peinture, dans l’Occident du XVe siècle comme dans la Chine du IVe siècle. Elle est donc dès l’origine liée à une vision esthétique : l’intérêt porté au paysage est celui du sujet d’un beau tableau, plus tard d’une belle photographie. Et même si le regard, le cadrage, l’interprétation peuvent embellir tout sujet, les paysages pittoresques (c’est-à-dire dignes d’êtres peints) ont très tôt été appréciés pour eux-mêmes et ont fait l’objet d’une volonté de conservation, donc d’une valeur patrimoniale.

C’est ainsi que les premiers paysages protégés, les séries artistiques de la forêt de Fontainebleau, en 1861, l’ont été à l’initiative de peintres (comme leur nom le laisse entendre). Même les paysages emblématiques des États-Unis (Yellowstone, Yosemite…) – pays pionnier dans le mouvement de conservation de la nature et des paysages – ont vu leur protection inspirée par les peintres de l’école de l’Hudson qui les avaient peints au milieu du XIXe siècle, autant que par les naturalistes.

© Académie d’Agriculture de France

Quels rôles des conservateurs et des créateurs de paysage ?

Malgré ces évolutions, il subsiste un clivage entre les tenants de la conservation et ceux de la transformation des paysages, entre associations de protection (de la nature, du patrimoine) et acteurs de la maîtrise d’œuvre et de la maîtrise d’ouvrage. En fait, les uns comme les autres considèrent que respecter un paysage consiste à le figer, et que cela ne concerne que certains paysages labellisés comme remarquables, tandis que tout est permis partout ailleurs ; leur opposition porte sur certains paysages non classés comme remarquables, que les uns voudraient figer et que les autres sont prêts à maltraiter.

La Convention européenne du paysage a cependant marqué un progrès dans le dépassement de cette opposition ; elle entend en effet s’appliquer, et rechercher des objectifs de qualité paysagère, « dans les territoires dégradés comme dans ceux de grande qualité, dans les espaces remarquables comme dans ceux du quotidien » (préambule et article 2). Ces paysages du quotidien, encore appelés paysages ordinaires, ont fait l’objet d’un intérêt croissant dans les recherches, les publications et les politiques depuis le début des années 2000.

On peut aller plus loin, en considérant :

  • que tout paysage porte, dans des mesures variées, des valeurs patrimoniales en même temps que des caractères qui peuvent être modifiés,
  • que dans chaque paysage, un projet peut faire vivre les valeurs patrimoniales et s’appuyer sur elles pour faire une œuvre de création qui sera le patrimoine de demain.

Les professionnels du paysage (paysagistes concepteurs, ingénieurs paysagistes notamment) peuvent avoir la volonté et les compétences d’être à la fois conservateurs et créateurs, pour répondre à une demande sociale souvent contradictoire. En effet, citoyens et élus veulent d’une façon générale un cadre de vie agréable ; d’un autre côté, dans chaque décision élémentaire des mêmes citoyens et des mêmes élus qui affecte ce cadre de vie, la qualité de celui-ci s’efface devant de nombreuses autres considérations – d’ordre pratique essentiellement (équipement, infrastructure, urbanisation, pratiques agricoles…), mais aussi d’ordre symbolique.

Les paysages agricoles peuvent-ils devenir des patrimoines ?

Les paysages patrimonialisés sont presque tous appréciés comme de beaux paysages, et pourtant seule une minorité d’entre eux a été conçue avec une visée esthétique : les parcs et les jardins. Tous les autres sont le résultat soit de processus spontanés (les paysages naturels) soit de la réponse à des nécessités matérielles (les paysages agricoles, urbains, industriels). La Convention du patrimoine mondial, signée sous l’égide de l’Unesco en 1972, a reconnu des sites façonnés par l’agriculture comme des paysages culturels.

Certains montrent des formes particulièrement spectaculaires de mise en valeur du territoire :

  • terrasses rizicoles d’Asie (Philippines, Chine),
  • terrasses viticoles ou de polyculture méditerranéennes (Cinqueterre en Italie) ou alpines (Lavaux en Suisse),
  • polders des Pays-Bas,
  • oasis…

D’autres témoignent d’une activité de grande importance culturelle, comme la transhumance et l’élevage extensif (Causses et Cévennes) ou la production de vins d’exception (Porto, Tokaj, Bordeaux, Champagne, Bourgogne). Et dans beaucoup de paysages agricoles, plusieurs de ces valeurs se combinent : les paysages viticoles, notamment, produisent à la fois des vins de grande qualité, témoins d’une histoire riche, et des paysages spectaculaires : parfois des terrasses, toujours un parcellaire soigné, souvent des caves monumentales.

La vallée du Haut Douro, au Portugal, inscrite sur la liste du patrimoine mondial en 2001, est à la fois le terroir qui produit les vins de Porto et un paysage de terrasses exceptionnel (photo P.-M. Tricaud).

Pour consulter la suite de la publication, téléchargez sa version intégrale ci-dessous.

https://www.academie-agriculture.fr/

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