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Conflit entre riverains et agriculteurs

Les « nuisances » d’un élevage au coeur d’un procès à Amiens


AFP le 05/01/2022 à 09:16

« C'est toute la ruralité qui est en danger » : la cour d'appel d'Amiens était saisie mardi d'un combat opposant depuis une décennie un éleveur de l'Oise à des riverains qui dénoncent des nuisances, une audience suivie de près par le monde agricole.

Devant la première chambre civile, le cas d’une ferme de Saint-Aubin-en-Bray, dont le propriétaire Vincent Verschuere, 33 ans, a été condamné en 2018 par le tribunal de Beauvais à verser 102 000 euros de dommages et intérêts aux riverains plaignants.

« Si je dois payer ces dommages, je mets la clé sous la porte », affirme l’agriculteur.

« Il a une épée de Damoclès en permanence au-dessus de la tête », proteste Luc Smessaert, vice-président de la FNSEA, venu en soutien.

L’arrêt, attendu le 8 mars, pourrait, estime-t-il, faire jurisprudence, dans les conflits opposant riverains et agriculteurs.

Les juges doivent aussi se prononcer sur la démolition ou non de l’extension de la ferme implantée au cœur du village, deux hangars construits en 2010 abritant sur 2 800 m 2 quelque 260 bovins.

« Un investissement de 600 000 euros », selon l’éleveur, «  respectant toutes les normes ». Les bâtiments, situés à moins de 100m des habitations ont obtenu une dérogation préfectorale « après des études approfondies », insiste son avocate, Me Sandra Palmas.

Elle souligne les « mesures compensatoires » prises : « pas de curée du lisier les week-ends et jours fériés, haies complétées et densifiées, pompes de machines de traite équipée d’un silencieux… » « Les nuisances olfactives et sonores sont telles que cela concerne la salubrité publique. Nous ne sommes pas sur une vache qui beugle ou un coq qui chante, on parle d’industrialisation de l’élevage », objecte Me Bruno Paviot qui défend le groupe de neuf riverains.

En première instance, le tribunal a reconnu « des troubles anormaux de voisinage » mais sans se prononcer sur la démolition, un « demi-jugement », qu’il dénonce.

Me Palmas invoque pour sa part de « nombreux témoignages de villageois » pour qui, si « ça peut sentir un peu le purin », c’est « la campagne française ».

Elle a demandé aux juges « le sursis à statuer », s’appuyant sur la loi de janvier 2021, « visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises » mais dont les décrets d’application ne sont pas encore parus.

Pour Vincent Verschuere, qui reconnaît avoir « pris un risque » en faisant appel, « c’est toute la ruralité qui est en danger ». « Dans l’Oise, beaucoup de fermes sont au cœur des villages, c’est tous ces éleveurs qui sont menacés ».

Le 30 décembre près de 200 personnes avaient défilé dans le village pour soutenir l’éleveur, dont Nadège Lefèbvre, présidente LR du conseil départemental.

« Il faut regarder les dossiers plus en amont, s’il y a un problème, de façon à ne pas laisser des gens investir des sommes aussi importantes pour au final peut-être leur demander de tout démolir », a-t-elle affirmé à l’AFP.

Selon elle, « tant que le décret » sur la loi de janvier 2021 « n’est pas sorti, ça peut arriver à n’importe quel agriculteur ».

« Nous ne sommes pas des citadins et ne sommes pas là pour l’argent. Mais quand nous sommes arrivés, il n’y avait pas d’exploitation aussi grande », a pour sa part souligné pour l’AFP l’une des plaignantes, Dominique Huguet, qui affirme avoir dû déménager.