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Filières générales

Enseigner l’élevage : peut mieux faire malgré quelques bonnes volontés


TNC le 13/12/2019 à 09:30
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Avant de lancer un serious game et un site web de ressources pédagogiques pour mieux enseigner et apprendre l'élevage dans l'enseignement général, le groupement d'intérêt scientifique (Gis) "avenir élevage" avait mené plusieurs enquêtes. L'objectif : faire l'état des lieux de la façon dont sont abordées les productions animales dans les filières non agricoles, et recenser les besoins et attentes des professeurs et de leurs élèves. Si certains résultats étaient prévisibles, d'autres sont plus étonnants et même inquiétants.

Pour améliorer la manière de traiter l’élevage dans l’enseignement général, et par conséquent celle avec laquelle les citoyens et consommateurs de demain l’appréhenderont (ce qui limiterait peut-être un peu l’agribashing), le groupement d’intérêt scientifique (Gis) « avenir élevage » a créé, en septembre dernier, le site internet ressources-elevage.fr. L’objectif de cette banque de données sur les productions animales, destinée aux professeurs de collèges et lycées, est de les aider à préparer leurs cours sur cette thématique. Leurs élèves, eux, pourront enrichir de façon ludique leurs connaissances grâce à un serious game, conçu à partir des idées recueillies lors d’un concours réservé à leurs homologues des filières agricoles.

Lire aussi : Un serious game et des ressources en ligne pour l’enseignement général

À l’origine de ces deux démarches, présentées dans un article la semaine dernière : trois enquêtes menées par le groupe de travail « enseigner l’élevage », visant à dresser un état des lieux de la façon dont est enseigné l’élevage dans le cursus général, et de mieux connaître les besoins et souhaits des enseignants et apprenants. Voici quelques-uns de leurs principaux résultats, certains étant peu surprenants, d’autres davantage, plusieurs ayant même de quoi interpeller.

Ce que montrent les programmes et manuels scolaires

  • « Aucun cours ne porte spécifiquement sur l’élevage », alors que la moitié des professeurs interrogés pensent en parler !

Seule l’agriculture en général est évoquée tout en étant intégrée dans des thèmes plus larges, traités à l’échelle mondiale, parfois sur plusieurs années de collège et lycée. Par exemple : « l’exploitation des ressources naturelles, la croissance démographique mondiale et la hausse des besoins alimentaires qu’elle engendre, ou encore l’équilibre nutritionnel ».

  • « L’angle de traitement est souvent celui de l’impact de la production intensive (alors que ce terme n’est que très rarement expliqué !) sur l’environnement et la santé humaine ».

Sont, entre autres, remis en question l’utilisation des intrants et l’élevage qualifié d’industriel avec, à l’appui notamment, des photos d’animaux en batteries sans préciser où elles ont été prises. Même les sujets de débat en classe peuvent être basés sur « des documents orientés » et il alors « compliqué pour les lycéens d’avoir une position neutre ».

  • « Lorsque les productions animales servent d’exemple, c’est plus souvent à charge ».

Le groupe de travail cite le lien généralement établi entre la consommation de viande et l’obésité ou le réchauffement climatique en raison de l’émission de gaz à effet de serre, l’opposition quasi systématique entre l’élevage et les productions végétales, le fait que les animaux soient alimentés avec du soja, ce qui accentue la déforestation, etc.

  • « Les effets positifs de l’élevage sont rarement mentionnés »

Comme le rôle de puits de carbone, réservoir de biodiversité et de rempart contre l’érosion de l’élevage herbivore, ou la complémentarité entre les productions végétales et animales.

  • « De nombreux données/chiffres ne sont pas sourcés et varient entre les éditeurs ».

Un manque de rigueur surprenant. Or les enseignements, dans le sondage ci-après, disent leur faire confiance et pensent que les informations qu’ils diffusent sont globalement fiables.

Lire aussi : Les vraies conséquences de l’élevage bovin sur l’environnement

  • Curieusement, « le bien-être animal, une préoccupation pourtant croissante en France, est absent ».

 

Les enseignements de l’enquête auprès des professeurs

→ Elle fait ressortir plusieurs freins à propos de l’enseignement de l’élevage.

  • « Peu de connaissances/formation des enseignants.
  • Une place réduite dans les programmes accordée à cette thématique, d’où un manque de temps pour l’approfondir.
  • Un manque de savoir/désintérêt des élèves vis-à-vis de ces sujets.
  • Des ressources pédagogiques non fiables.
  • Des manuels orientés et qui abordent peu les solutions mises en place ou envisageables pour limiter les aspects négatifs des productions animales. »

Les deux derniers points montrent que les professeurs (28 ont été interrogés un peu partout en France sauf dans le sud) ont conscience de certaines des dérives observées par le groupe de travail « enseigner l’élevage » dans les programmes et manuels scolaires.

→ L’enquête est également encourageante car elle révèle que les professeurs ont envie de faire évoluer les choses. Ils sont demandeurs en particulier :

  • « d’information sur les sujets sensibles (agriculture intensive, bien-être animal…) et sur les changements de pratiques agricoles ;
  • de documents et de chiffres neutres, provenant d’organismes reconnus et non lobbyistes (cartes, graphiques, images illustrant l’évolution du nombre d’éleveurs, d’exploitations, d’animaux…) ;
  • de vidéos et de supports interactifs (serious game ou jeux de rôles) car cela plaît aux élèves ;
  • de visiter des fermes ;
  • et même de suivre des formations spécifiques sur l’élevage. »

 

Quelques verbatims édifiants :

  • « Je n’en sais pas beaucoup plus que les élèves. »
  • « Certains manuels donnent une vision négative caricaturale de l’élevage. Il en ressort que, sans élevage, ce serait mieux sur de nombreux aspects. »
  • « Dans plusieurs livres, c’est « Martine à la ferme » ! »
  • « Pour de nombreux élèves, citadins, c’est la planète Mars ! »
  • « Les documentaires sur l’élevage dans les médias grand public sont quand même très orientés. »
  • « J’ai l’impression d’être plus un prof de catastrophes que de SVT ! »
  • « Je voudrais leur apporter toutes les informations pour qu’ils se forgent leur propre opinion. »
  • « Il faut arriver à montrer les solutions aussi. »

Ce que révèle l’enquête auprès des élèves

1 087 lycéens, d’une quarantaine de classes différentes de la seconde à la terminale, ont répondu à une enquête. 72 % d’entre eux sont en section scientifique et 40 % habitent en zone périurbaine, un peu partout en France excepté dans le sud. Parmi les principales conclusions :

  • les lycéens connaissent mal l’élevage :

Quelques exemples tirés d’un quiz :

Comment la vache produit-elle du lait ?

  • Aucune idée : 29 %
  • Naturellement : 12 %
  • Avec des hormones : 9 %
  • Grâce à son veau : 48 %

 

Que mange une vache ?

  • Herbe : 72 %
  • Céréales : 61 %
  • Maïs : 20 %
  • Farines animales : 33 %

 

Leurs sources d’information :

  • les journaux télévisés (87 %)
  • l’entourage (57 %) ;

Seuls 12 % n’ont jamais mis les pieds dans une ferme !

Sans doute, la majorité d’entre eux ont visité des fermes pédagogiques, « n’ayant pas forcément la production comme objectif premier ».

  •  « 1/3 uniquement se souvient avoir abordé l’élevage à l’école » ;
  • les élèves ont retenu essentiellement des informations fausses, orientées, tronquées, etc.

(© Création TNC // Source : Gis « avenir élevage »)

Quelques verbatims réconfortants cependant :

  • « En France, on veille à la qualité des produits. »
  •  Un secteur « qui nourrit la population est important dans l’économie ».
  •  « Les éleveurs sont mal rémunérés pour leur travail. »
  •  « On ne s’intéresse pas assez à l’élevage malgré son importance. »
  •  « C’est notre devoir d’aider les agriculteurs à mieux faire plutôt que de les critiquer. »

 

« Leur première préoccupation : le bien-être animal » ;

  • Bien-être animal : 82 %
  • Impact environnement : 73 %
  • Crises sanitaires : 63 %
  • Nuisances : 18 %
  • Compétition avec les hommes pour la nourriture : 14 %

Lire aussi : Fin des étables entravées, pâturage obligatoire ? Se préparer aux éventualités !

Les éleveurs prennent soin de leurs animaux : OUI (50 %)   NON (30 %)

Les conditions de vie des vaches sont mauvaises :

  • en production laitière (16 %)
  • en viande (38 %), à cause surtout des conditions d’abattage.

« Les lycéens pensent que l’alimentation des animaux est de mauvaise qualité ou contient des médicaments. »

« 50 % des sondés jugent que l’élevage a un impact négatif sur l’eau, le réchauffement climatique et l’air. »

« 81 % sont « pour » le maintien de l’élevage et 92 % consomment de la viande bovine » ;

Soit 15 % de moins que dans un sondage similaire réalisé il y a quatre ans, ce qui « montre bien le basculement en cours dans l’opinion des jeunes », selon le Gis « avenir élevage ».

L’enquête a permis de dresser quatre profils de lycéens.

(©Gis « avenir élevage »)

« Les insatisfaits regroupent une majorité de filles. Ils se sentent très concernés par le bien-être animal, ont une mauvais image de l’élevage et prônent son abandon, explique le groupe de travail « enseigner l’élevage ». Les omnivores insatisfaits déplorent l’impact négatif de l’élevage, surtout sur l’environnement. Ils souhaitent malgré tout son maintien à condition d’améliorer les pratiques. Les satisfaits sont conscients de tous les services rendus par l’élevage. »

Ainsi, ces différentes études confirment l’intérêt de faire évoluer l’enseignement de l’élevage dans les filières générales, tant elles ont mis en exergue d’importantes lacunes au niveau des programmes et des manuels, influençant logiquement la perception des productions animales chez les professeurs et les élèves. Rien n’est perdu pour autant : plusieurs enseignants et lycéens semblent plutôt favorables à une approche plus réaliste et impartiale.