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Rémunération des producteurs

Egalim : des lois imparfaites, mais pas inutiles


TNC le 17/11/2023 à 11:52
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Malgré des imperfections, et l'influence de l'inflation, les lois Egalim contribuent à l'amélioration du revenu des producteurs (© Adobe Stock)

Les lois destinées à rééquilibrer les relations commerciales se succèdent depuis 2018 avec, entre autres objectifs, celui de redonner du pouvoir et de la valeur aux producteurs. Si l’inflation a brouillé les pistes, on constate tout de même des avancées, notamment dans la filière laitière.

Depuis les Etats généraux de l’alimentation en 2017, plusieurs lois, dites Egalim, ont été votées afin de rééquilibrer le rapport de force entre l’amont et l’aval de la filière. La loi du 30 octobre 2018 a ainsi instauré les indicateurs de coûts de production, le seuil de revente à perte et l’encadrement des promotions, puis celle de 2021 a encadré davantage les relations entre l’agriculteur et son premier acheteur en mettant en place une non-négociabilité de la matière première agricole. « Mais dans un environnement concurrentiel, si l’industriel ne parvient pas à passer toutes ses hausses, il reste compliqué pour lui de payer davantage la matière première agricole, car la loi n’oblige pas la distribution à accepter les autres hausses comme le coût de l’énergie ou de l’emballage », rappelle Alessandra Kirsch, directrice des études d’Agriculture Stratégies. Le 16 novembre, l’Afja (association française des journalistes agricoles) et le Syrpa (réseau des agri-communicants) ont organisé une table-ronde dressant un bilan des améliorations apportées par les lois Egalim, tout en évoquant les points de vigilance et les faiblesses de ces textes.

« Des trous dans la raquette »

Car les lois souffrent en effet de plusieurs imperfections, notamment leur champ d’application restreint. La loi Egalim 3 de mars 2023 a étendu les règles aux produits achetés auprès de fournisseurs étrangers ou par des centrales d’achat délocalisées, et applique la non-négociabilité des matières premières agricoles aux produits vendus sous marque de distributeur. Néanmoins, un certain nombre de relations commerciales ne sont pas soumises aux obligations contractuelles prévues par Egalim : relations entre l’éleveur et les marchés de gros ou les marchés export, relations entre l’abatteur et les grossistes ou les exportateurs… « La grande distribution n’est pas le seul débouché des agriculteurs, et les filières alimentaires sont dépendantes de l’exportation et de la restauration hors domicile », rappelle Isabelle Senand, directrice des études à la FCD.

Pour Yohann Barbe, producteur de lait dans les Vosges, trésorier de la FNPL, il y a un intérêt réel à la contractualisation qui « permet de rassembler l’ensemble des producteurs, de les faire entrer dans les OP pour ne pas rester seul », et qui apporte « la certitude que le lait est collecté tous les deux jours sur leur exploitation ».

Malgré l’inflation et la hausse des charges, « on voit que le prix du lait monte quand même », en lien avec l’effet marché mais aussi les lois Egalim, explique-t-il. « Sur un an, la marge laitière a évolué de + 20 €/1 000 litres. Mais quand on veut s’adosser à un marché, on n’est plus du tout compétitif », tempère l’éleveur, qui met en avant la petite taille des exploitations françaises au regard de celles des concurrents européens.

Par ailleurs, si la loi permet de calculer un prix sur la base des indicateurs de coûts de production, et donc d’attaquer en justice l’industriel qui ne respecte pas le prix, la laiterie peut ensuite décider de ne plus collecter le lait. Le groupe Savencia, assigné en justice par les producteurs de Sunlait pour ne pas avoir respecté la formule de prix, pourrait ainsi ne plus collecter leur lait à partir de l’année prochaine, explique Yohann Barbe.

Inflation et consentement à payer

Par ailleurs, si la construction des prix en marche avant est bénéfique pour les agriculteurs, elle « se heurte au consentement à payer du consommateur », souligne Alessandra Kirsch, avec un risque accru pour les produits à plus forte valeur ajoutée, qui se vendent moins en période d’inflation. La hausse des prix de ces derniers mois a en effet entraîné une baisse de la consommation des ménages, associée à une descente en gamme, indique Isabelle Senand.

Dans un contexte inflationniste, les consommateurs sont clairement moins disposés à payer plus cher pour soutenir l’agriculture : ils ne sont ainsi plus que 67 % à y consentir, quand ils étaient 71 % en février 2022.

À chaque fois qu’on négocie, au bout de la chaîne, c’est le producteur qui paye

Or « sur le prix final, soit le consommateur paye le prix de départ, soit c’est le producteur, rappelle Yohann Barbe. Il faut absolument que tout le monde prenne conscience qu’à chaque fois qu’on négocie, au bout de la chaîne c’est le producteur qui paye ».

Cependant, si l’inflation rebat les cartes, la loi Egalim n’a pas, contrairement à ce qu’en disent ses détracteurs, contribué à amplifier le phénomène. « On n’a pas constaté d’inflation démesurée comparativement aux autres pays européens, alors que la loi ne s’applique qu’en France », note Alessandra Kirsch. Au contraire, le contexte inflationniste invitant davantage à se poser la question de « qui se gave », certains pays voisins s’intéressent de plus en plus près à cette loi française, ajoute-t-elle.