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Pollution aux pesticides

Deux châteaux bordelais en procès


AFP le 19/03/2019 à 15:31

Deux châteaux viticoles doivent s'expliquer mercredi devant le tribunal correctionnel de Libourne (Gironde) pour avoir procédé en 2014 à l'épandage de fongicides près d'une école où des élèves et une enseignante avaient été pris de malaises, un procès inédit dans le vignoble bordelais.

En mai 2014, plus d’une dizaine d’élèves et une enseignante de l’école primaire de Villeneuve-de-Blaye (Gironde) s’étaient plaints entre autres symptômes de picotements aux yeux et de maux de gorge, immédiatement après l’épandage de fongicides sur les vignes voisines. L’enseignante avait du être hospitalisée une journée et les enfants confinés dans l’école.

Deux domaines avaient traité ce jour-là leurs parcelles de vigne avec des produits autorisés, mais potentiellement toxiques (irritation de la peau, lésions oculaires, inhalation dangereuse, etc.).. Le château Castel La Rose, en agriculture conventionnelle, avait utilisé les fongicides Eperon et Pepper ; le château Escalette, en « bio », avait épandu de la bouillie bordelaise, de l’Héliocuivre et de l’Héliosoufre S. « En conventionnel comme en bio, quand on lit les fiches-produits des phytosanitaires utilisés sur les parcelles traitées près de l’école, c’est très inquiétant », explique à l’AFP, Me François Ruffié, avocat de la Sepanso, partie civile aux côtés d’une autre association écologiste, Générations Futures. Me Ruffié insiste sur « l’extrême gravité de l’infraction », car au-delà d’un simple conflit d’usage, « il s’agit de la santé de nos enfants », souligne l’avocat de cette fédération régionale des associations de protection de la nature d’Aquitaine, affiliée à France nature environnement (FNE).

Ce procès est « une première dans le vignoble bordelais », et l’aboutissement de moult péripéties judiciaires, selon l’avocat. De non-lieu en plainte contre X, la procédure initiée en 2014 a conduit au renvoi le 3 juillet 2018 des deux domaines viticoles d’appellation Côtes-de-Bourg pour « utilisation inappropriée de produits phytopharmaceutiques ». Après avoir initialement classé l’affaire sans suite, la justice avait fini par ouvrir une information judiciaire à Libourne, juridiction compétente, après une plainte contre X de la Sepanso et, fait inédit, avait mis en examen en octobre 2016 les deux châteaux, poursuivis en tant que personnes morales.

« Forme d’omerta »

« Les moyens utilisés » lors du traitement des vignes « étaient manifestement insuffisants », avait alors estimé la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux pour motiver le renvoi en correctionnelle. Quant aux symptômes observés dans l’école, ils « correspondent tout à fait aux effets décrits comme conséquence des produits irritants utilisés ce jour-là », avaient estimé les magistrats. « Un parcours judiciaire long et laborieux qui montre bien qu’en Gironde, il est très difficile de faire prospérer un dossier où sont mis en cause des viticulteurs pour épandages inappropriés », affirme Me Ruffié.

Il évoque même une « forme d’omerta » dans un secteur pourvoyeur de nombreux emplois, en s’étonnant que les parents « ne se soient pas manifestés ». « Il n’y pas d’omerta », objecte Me Sophie Clavel, conseil du château Escalette. « Le médecin scolaire n’a même pas jugé nécessaire d’hospitaliser les enfants dont les plus malades ont été soignés au Doliprane, sur place ». Me Clavel assure par ailleurs que « les épandages ont été faits dans les règles de l’art, conformément à la réglementation en vigueur ». « Qu’il faille accompagner la transition écologique vers d’autres produits, on est tous d’accord, ajoute-t-elle, mais de là à dire que mes clients n’ont pas respecté la règle du jeu, c’est faux ».