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Académie d'Agriculture de France

Comment l’agriculture a-t-elle réussi à nourrir le monde ? (1800-2023)


André NEVEU, membre de l'Académie d'Agriculture de France le 21/04/2023 à 09:00

(©GettyImages)

En 1800, la population mondiale avoisinait un milliard de personnes. En 2023, nous sommes huit milliards sur terre, et mieux nourris qu'il y a deux siècles. Par quel prodige l'agriculture a-t-elle réussi ce résultat ? Cette transformation s'est produite en trois phases bien distinctes, qui se sont même parfois chevauchées.

1800-1950 : L’extension des surfaces cultivées

La mise en culture de nouvelles terres est la grande affaire de cette première période. L’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud étendent considérablement leur espace cultivé grâce à l’installation et au travail acharné de millions de migrants. Et, un peu partout dans le monde, on assainit des marais, on défriche des forêts et on met en culture des steppes improductives.

Au fil des années, la production agricole augmente et permet d’approvisionner les ouvriers des industries en plein développement. Bateaux et chemins de fer sont mis à contribution pour transporter cette alimentation depuis les lieux de production jusqu’aux consommateurs urbains.

Aux États-Unis, le XIXe siècle est celui de la conquête de l’Ouest. Après avoir chassé les bisons et les Indiens, les nouveaux émigrants s’établissent sur la grande prairie, entre le Mississipi et les Montagnes rocheuses ; ces pionniers élèvent du bétail ou mettent leurs terres en culture, le plus souvent en céréales. Plusieurs centaines de millions d’hectares sont ainsi gagnés et contribuent à nourrir le monde.

Certes, au cours de ce siècle et demi, les rendements des cultures augmentent aussi, mais très lentement, car les méthodes de culture évoluent peu et restent, pour l’essentiel, très traditionnelles.

Au total, la population mondiale passe d’un milliard d’habitants à deux milliards et demi, de 1800 à 1950. En outre, elle est mieux nourrie tandis que famines et pénuries s’espacent peu à peu.

1950-2000 : L’explosion des rendements des cultures

Dans la seconde moitié du XXe siècle, les rendements des cultures progressent très rapidement. Ce progrès résulte :

  • De la conjonction de la sélection de plantes plus productives,
  • De l’apport massif d’engrais chimiques,
  • De l’emploi généralisé de produits de lutte contre les parasites et ennemis des plantes,
  • Enfin, si nécessaire, de l’irrigation des sols.

Mieux formés, les agriculteurs des pays industriels sont les premiers à utiliser ces nouvelles méthodes de travail du sol. Mais rapidement, celles-ci se diffusent aussi dans les pays en développement, notamment en Inde et dans tout le Sud-Est asiatique. C’est la révolution verte. La Russie et la Chine, à leur tour, suivent ce mouvement, mais avec quelques décennies de retard. En revanche, l’Afrique subsaharienne peine à modifier ses pratiques.

En France, par exemple, entre 1950 et la fin du siècle, les rendements en blé seront passés d’à peine plus de 20 quintaux par hectare à 72 quintaux par hectare, et ceux du maïs de 30 à 90. Pendant toute cette période, certains pays ont cependant continué d’accroître leurs surfaces cultivées, par exemple le Brésil, l’Argentine, l’URSS (dans les années 1960-1970) et l’Indonésie.

Au total, entre 1950 et 2000, l’augmentation de la production agricole a permis de nourrir 5,5 milliards d’habitants supplémentaires, soit un quasi-triplement de la population mondiale. De plus, dans le même temps, les famines disparaissent, tandis que la consommation de viande et de produits laitiers augmente fortement, y compris dans les pays émergents.

1980-2022 : La mondialisation des échanges, facteur de sécurisation des approvisionnements

Après la Seconde Guerre mondiale, mais surtout depuis les années 1980, les entraves au commerce international des produits agricoles sont réduites et parfois supprimées. Les pays exportateurs élargissent leurs débouchés et les pays importateurs peuvent facilement acquérir les quantités souhaitées sur les marchés internationaux.

Cette mondialisation des échanges ne contribue pas directement à l’accroissement de la production agricole, mais elle permet de fluidifier le commerce international et de prolonger, au profit de tous, les bénéfices de l’augmentation des rendements des cultures. Si les transactions commerciales sont facilitées, les prix restent ceux du marché libre. Ce qui signifie qu’ils sont soumis à d’importantes et permanentes fluctuations, sans parler du rôle des spéculateurs qui les anticipent et les amplifient.

2023 et la suite : un avenir à construire

Différents facteurs se sont donc succédés pour nourrir une population mondiale toujours plus nombreuse et lui assurer une alimentation de meilleure qualité. Pourront-ils poursuivre leur action au cours des prochaines années et, sinon, la relève sera-t-elle assurée ?

Extension des zones cultivées : On sait que l’extension des zones cultivées est proche de ses limites, sauf à poursuivre le défrichement des grandes forêts tropicales, ce qui serait un non-sens du point de vue environnemental. Il reste néanmoins de mauvais pâturages à mettre en culture au Brésil, ainsi que des terres toujours incultes en Russie. Mais ces extensions compenseront-elles les superficies abandonnées, car rendues trop sèches ou inondables en raison du changement climatique, sans parler de l’extension des villes qui chaque année grignote quelques millions d’hectares de bonnes terres agricoles ?

Accroissement des rendements : Nous pouvons observer que l’accroissement des rendements n’est pas infini, et qu’il est aussi perturbé par le changement climatique. Ainsi, en France, les rendements en blé et en maïs n’augmentent plus depuis vingt ans malgré les efforts des scientifiques pour mettre au point de nouvelles variétés de plus en plus productives. Certes, dans un certain nombre de pays, on est encore loin de ce plafond de verre, avec heureusement encore des progrès possibles ; c’est le cas de l’Afrique subsaharienne, qui attend toujours sa révolution verte.

Mondialisation des échanges commerciaux : Enfin, la mondialisation des échanges commerciaux, avec ses avantages et ses inconvénients, est remise en cause dans le contexte géopolitique actuel de lutte entre les grandes puissances. Les accords bilatéraux se multiplient et sont autant de coups d’épingles à la mondialisation heureuse espérée il y a encore peu d’années. Pour remédier à cette carence, certains pays sont à la recherche d’une souveraineté alimentaire, parfois bien illusoire.

Alors, quelles perspectives ? Les progrès qui restent encore possibles sont certes importants, mais il s’agit de savoir si ces avancées nouvelles seront plus rapides que le changement climatique. Au-delà, le vrai changement pourrait venir des consommateurs eux-mêmes et de leurs modes d’alimentation : dans bien des pays, la sobriété va devenir la règle. Ainsi les santés individuelles seraient améliorées, le gaspillage alimentaire réduit et la planète moins sollicitée.

Académie d’Agriculture de France (www.academie-agriculture.fr)

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