Accéder au contenu principal
Ovins

A l’école des bergers, des élèves passionnés, sûrs de trouver un emploi


AFP le 18/04/2019 à 10:35

Ils étaient coiffeurs, étudiants, employés de banque : dans une grande bastide de la plaine de la Crau, 14 futurs bergers de 20 à 64 ans apprennent les rudiments d'un métier ancestral, encore porteur d'emplois.

Autour de la bâtisse jaune qui abrite une école de bergers depuis 1930, paissent 1 500 brebis. En cette fin d’après-midi, Camille Lablée, 27 ans, court après des bêtes apeurées par le ciel orageux. La grande fille rousse repère dans le champ rocailleux une brebis qui boîte, s’approche et s’agenouille pour tâter la patte blessée. « Retourne-la ! », lui conseille Frédéric Laurent, responsable pédagogique. « Là, dans les cailloux ? », demande Camille. D’une poigne assurée, elle renverse la brebis sur le dos et la masse doucement. La brebis se laisse faire, soulagée.

La jeune Normande terminait des études de langues en Irlande lorsqu’elle s’est prise de passion pour les ovins. Surtout, elle rêve de « vivre au fil des saisons, connectée avec la nature ». Ça tombe bien, à l’école du Merle, on « suit le cycle de reproduction de la brebis », explique Frédéric Laurent. Après deux semaines de cours sur la mise bas entre autres, première étape de la formation d’un an, les stagiaires partent en bergerie à l’automne quand les brebis accouchent. « C’est l’étape la plus critique, 10 000 brebis qui mettent bas en un mois et demi » , décrit Frédéric Laurent.

Dans les mois qui suivent, les stagiaires suivent des cours sur l’alimentation des brebis, l’agronomie, la climatologie et découvrent les techniques de débroussaillage ou de tonte. « C’est un métier extrêmement physique et technique », explique Frédéric Laurent. « Le berger qui lâche ses brebis, roule sa clope et fait la sieste au soleil, ça n’existe pas ! »

Le Merle, seul centre en France à proposer un brevet professionnel de berger transhumant, attire beaucoup de candidats à la reconversion. « Ce sont parfois des gens très diplômés jusqu’à bac+8, et de plus en plus de filles ». À l’image de Mélanie, 34 ans, « amoureuse de la montagne » qui a travaillé dix ans dans un média culturel à Paris. « J’ai réalisé que ça faisait 34 ans qu’on me nourrissait et que je ne participais à rien », dit-elle.

« Nés avec le loup »

La jeune femme brune a découvert le métier lors d’une estive où elle était éco-volontaire pour Pastoraloup, un programme de l’association de protection animale Férus. « J’ai trouvé que le poids de la présence du loup pesait beaucoup sur les bergers, ça m’a fait réfléchir à l’impact de cet animal ». Les « nouveaux bergers », assure Frédéric Laurent, « sont nés avec le loup, pour eux ça fait partie du métier ». Une semaine de cours lui est dédiée ainsi qu’aux moyens pour l’éviter : chiens de protection, pose de filets… Même s’ils redoutent tous leur première rencontre avec le prédateur, les stagiaires n’expriment pas autant de passion sur le sujet que leurs aînés.

« Le loup, dans beaucoup de pays, ne pose pas tant de problèmes que chez nous », avance Camille. « Il était là avant, mais quand on l’a éradiqué, quelque chose a été coupé en France avec cet animal », ajoute-t-elle. Elle s’avoue rassurée de partir avec un autre berger pour ses trois mois d’estive, dans le Queyras : « Je ne connais pas la montagne et c’est rassurant, en cas d’accident, d’attaque ou de problème de santé ». La présence du loup a, dans certains départements, poussé les autorités à débloquer des aides aux éleveurs pour l’emploi de bergers supplémentaires.

La filière ne connaît pas de chômage, au contraire, « les éleveurs sont en demande de bergers à l’année », assure Frédéric Laurent. Le salaire n’est pas forcément attractif : 1 500 euros net mensuel en moyenne. « Rapporté au nombre d’heures, c’est bien peu, mais ils sont logés », explique-t-il. Là encore, le mythe du berger solitaire, reclus dans une cabane de pierre froide en prend un coup : « elles ont souvent été rénovées, certaines sont alimentées en électricité, ont des radios qui permettent de communiquer ».

La garde des troupeaux, c’est ce qui attire Mélanie, malgré la rudesse des mois en altitude. Elle a moins aimé le travail en bergerie. Elle envisage, lorsque le troupeau redescendra pour l’hiver, de rejoindre la capitale et son ancien travail, comme bénévole. « Je n’ai pas envie de choisir entre les deux mondes », dit-elle, avant de se glisser entre les hautes herbes avec ses camarades pour apprendre à reconnaître la luzerne, le trèfle, le panais…