Vin aux épices et parfum de rose : voyage dans l’arôme antique


AFP le 26/10/2024 à 08:17

Quel goût avait le vin gallo-romain ? Que sentaient les parfums grecs ? En croisant textes et fouilles, l'archéologie parvient à reconstituer ces saveurs antiques et raconte à travers elles la vitalité économique de la Méditerranée dans une exposition au Collège de France.

Pendant près de 50 ans, l’archéologue Jean-Pierre Brun s’est consacré à l’étude des techniques et économies de l’Antiquité, en fouillant les quartiers artisanaux de Pompéi, en s’intéressant à la viticulture en Gaule ou en reconstituant la chimie des parfums de la Grèce antique.

« Une archéologie très différente de ce que pouvaient faire ses pairs avant lui », consistant non pas à travailler sur « la grande histoire de l’Empire romain », mais sur « le quotidien de la classe moyenne », explique à l’AFP Julien Auber de Lapierre, commissaire de l’exposition « Vins, huiles et parfums. Voyage archéologique autour de la Méditerranée antique », consacrée à ses recherches, du 28 octobre au 31 janvier 2025.

Les amphores, bouchons de liège, lampes à huile et vases à parfum – dont certains prêtés par le Musée du Louvre – tout comme les pressoirs, chais et navires de transport – exposés sous forme de maquettes -, ont fourni au chercheur de précieux renseignements sur ces produits.

Les parfums, aux usages très divers – cosmétique, massages, soins médicaux, parfumage du linge ou des banquettes des thermes… – sont ainsi longtemps restés mystérieux.

« On avait des recettes de l’époque de Dioscoride », un médecin et pharmacologue grec du 1er siècle, « mais ça restait un peu abstrait », raconte le commissaire d’exposition.

En analysant les sédiments retrouvés au fond de vases à parfum en collaboration avec un chimiste spécialisé, l’archéologue a pu recréer une de ces huiles odorantes, le rhôdinon, que le visiteur de l’exposition est invité à humer.

« Il vous fallait de l’huile d’olive verte, une base racinaire – le calamus, une sorte de roseau légèrement odorant – qui servait de fixateur, et des roses de Damas. Ce mélange devait être brassé à la main dans de grandes jarres dont l’intérieur était recouvert de miel et vos mains devaient être recouvertes elles aussi de miel », détaille M. Auber de Lapierre.

Réseaux commerciaux

Autre produit majeur, consommé aussi bien par l’aristocratie que par les classes plus populaires, le vin était, lui, « très différent » de celui que nous connaissons.

« On le faisait peu vieillir, ce qui lui donnait un goût assez âpre. Les vins étaient régulièrement coupés à l’eau ou fortement épicés pour casser cette âpreté. Ca ressemblait un peu à un vin cuit », explique M. Auber de Lapierre.

Au-delà des goûts retrouvés, vins, huiles et parfums racontent aussi la vitalité économique d’un monde méditerranéen dominé par l’agriculture.

« Les réseaux commerciaux sont extrêmement denses, note-t-il. On a toujours tendance à croire qu’au XXIe siècle, on vit dans un monde interconnecté, mais c’était déjà le cas pour ces périodes ».

La découverte dans le sud de la France de villas agricoles « en capacité de produire plusieurs milliers d’hectolitres à l’année » a montré que la culture de la vigne n’y était pas juste « une production d’amateurs pour une consommation locale mais à des fins d’exportation », note le commissaire d’exposition. Dans ce cas aussi, les amphores « parlent sans avoir besoin de texte ».

Certaines, aux formes et marques caractéristiques, ont voyagé de Tunisie vers la péninsule italique. D’autres ont été retrouvées aux confins du monde antique, en Allemagne ou dans le désert égyptien, où les garnisons romaines surveillaient les routes commerciales vers le sous-continent indien.

Là, leurs tessons servaient de supports pour échanger des messages de fortins en fortins, par exemple sur des bagarres entre soldats.

« De la petite histoire, mais qui permet de redonner vie et une certaine humanité à ces routes caravanières », souligne M. Auber de Lapierre.