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Nouvelles techniques de sélection

Un flou juridique préjudiciable à la diversité et à l’agroécologie ?


TNC le 08/04/2021 à 06:03
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Si la Commission européenne doit remettre dans quelques semaines son rapport sur le sujet des New genomics technics (NGT), les biotechnologies utilisées pour éditer des gènes (que ce soit pour le végétal, l’animal ou l’humain) le cadre réglementaire européen et français liés aux techniques de sélections variétales reste flou et mal adapté aux réalités scientifiques. Pour l’UFS, les incohérences juridiques pourraient avoir des conséquences négatives sur la biodiversité cultivée ou la capacité du secteur à répondre aux enjeux climatiques.

Sur les OGM et les nouvelles technologies de sélection variétale, le cadre réglementaire européen beaucoup plus large que la réglementation scientifique pose problème. Ainsi, pour un même produit, les classifications réglementaires peuvent être différentes : c’est le cas pour le gène waxy, qui donne une qualité particulière à l’amidon de maïs. Ce gène peut être obtenu de trois manières : par croisement et sélection, par mutagenèse aléatoire, ou par édition du génome. Mais si au final, le produit s’avère identique, il relève dans le dernier cas de la directive européenne 2001-18 sur les OGM, a expliqué l’UFS (Union française des semenciers), à l’occasion d’une « master class », le 7 avril.

Un cadre réglementaire européen trop flou

Cette directive, élaborée en 2001, est avant tout basée sur fondements scientifiques des années 80 et l’émergence de la transgenèse. Le périmètre initial des OGM réglementés intègre donc la transgenèse et la fusion cellulaire entre plantes sexuellement incompatibles. Les OGM issus de la mutagenèse, technique ancienne connue depuis les années 20, sont exemptés, tout comme ceux obtenus par fusion cellulaire entre plantes sexuellement compatibles. Enfin, tout ce qui relève de la reproduction sexuée et de la polyploïdie n’est pas considéré comme OGM.

Cette classification a posé question en France. En décembre 2014, neuf ONG s’opposent au premier ministre sur la mutagenèse, et l’affaire est portée devant le Conseil d’État en mars 2015. En septembre 2016, la rapporteure attire l’attention du Conseil d’État sur les nouvelles techniques de mutagenèse, apparues en 2011, 2012, et qui ne sont donc pas prise en compte par la directive européenne de 2001. Face à la difficulté d’interpréter la loi européenne, le Conseil d’État renvoie quatre questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), en octobre 2016.

En juillet 2018, la CJUE apporte ses éléments de clarification, et laisse la possibilité aux États membres de légiférer au niveau national. En février 2020, le Conseil d’État interprète la décision de la CJUE, et considère que toutes les techniques de mutagenèse dirigées, apparues à partir de 2011, et la mutagenèse traditionnelle appliquée à des cellules de plantes (in vitro) doivent entrer dans le champ d’application de la directive. Dans le projet de décret français transmis à la Commission européenne en mai 2020, il est donc indiqué que les variétés de colza et tournesol obtenues par ces techniques doivent rétrospectivement être considérées comme OGM. En septembre 2020, la Commission européenne a donné trois mois à la France pour publier son décret, ce qui aujourd’hui n’est pas encore fait.

Des distorsions importantes dans l’application de la réglementation

La décision de 2018 introduit des différences énormes en matière d’application de la réglementation. Si l’on reprend l’exemple du gène waxy, la mise en marché de la variété, si elle est obtenue par l’édition du génome, à un coût de 35 à 50 millions d’euros pour l’entreprise qui doit faire approuver son dossier au niveau européen, sans compter le coût de l’acceptation sociale de cette variété, identifiée comme OGM. Tandis que la même variété, obtenue par exemple par mutagenèse aléatoire, n’aura pas besoin d’agrément spécifique, d’évaluation de risque, et ne sera pas soumis à des exigences particulières de traçabilité ou d’étiquetage, explique l’UFS.

Or, d’un point de vue scientifique, il n’est pas possible de distinguer les produits identiques obtenus par des procédés différents, ce qui rend difficile de justifier une différence aussi importante de régime réglementaire.

Les coûts liés à la réglementation OGM s’avèrent par ailleurs rédhibitoires pour un grand nombre de structures, ce qui restreindrait considérablement le nombre d’entreprises pouvant accéder à ces technologies. « De facto, cela réduirait le nombre d’espèces concernées et donc la diversité qui pourrait être cultivée demain », estime l’UFS. Pour les semenciers, l’application de la directive OGM aux nouvelles techniques de sélection aurait également des conséquences importantes sur l’offre de solutions agro-écologiques, en limitant les travaux sur les résistances et tolérances, ainsi que le potentiel d’adaptation des plantes au changement climatique et aux stress en cultures. Enfin, l’impact de ce flou juridique se manifeste également sur la confiance des consommateurs, avec « un amalgame permanent entre la sélection végétale et les OGM » et donc un positionnement difficile pour le gouvernement.

Comment simplifier ? Les propositions de l’UFS

Pour sortir de cette situation, l’UFS souhaite « construire une approche simplifiée », en s’affranchissant notamment de l’évolution des techniques par des critères génériques et en tenant compte des similarités que l’on peut trouver avec des produits existants (pas de réglementations différentes pour les variétés obtenues par les nouvelles techniques d’amélioration des plantes, si elles peuvent être obtenues par des méthodes classiques de sélection ou par les phénomènes naturels).

On obtiendrait ainsi la classification suivante : une obtention par croisement sexué, ou par mutagenèse (phénomène qui peut être naturel) permettrait d’exclure la variété du champ d’application de la directive. En revanche, s’il subsiste des gènes étrangers dans les plantes obtenues, elles relèveraient de la directive OGM.