Ukraine, Mercosur : comment protéger le marché du sucre européen ?
TNC le 11/12/2025 à 05:34
Face à l’augmentation des importations de sucre dans l’UE, qui déstabilisent le marché, y a-t-il un avenir économique pour la betterave sucrière en France, s’interrogent les betteraviers. Pour la CGB, qui tenait son assemblée générale le 9 décembre à Paris, des solutions peuvent être mises en place au niveau européen pour soutenir davantage les agriculteurs.
Conséquence de la guerre déclarée par la Russie, l’ouverture des frontières européennes au sucre ukrainien a contribué à déstabiliser le marché. Or, ce dernier « est un marché mature », rappelle Guillaume Gandon, vice-président de la CGB. Alors qu’avant le conflit, les importations ukrainiennes représentaient un peu plus de 20 000 tonnes par an, elles ont atteint 500 000 tonnes en 2022 et 2023, avant que le contingent soit ensuite réduit à 260 000 tonnes puis 100 000 tonnes, des surplus qui ont contribué à faire chuter les prix du sucre. « On a fait payer une décision politique de l’Europe à la filière européenne », déplore Guillaume Gandon.
Or, les importations ne semblent pas amenées à se réduire, d’autant plus que l’entrée de l’Ukraine dans l’UE est aujourd’hui en cours de discussion. Outre l’afflux de sucre qui pourrait en résulter, une intégration totale mettrait en compétition, sur le plan agricole, des fermes familiales françaises avec un modèle d’agroholdings ukrainien qui aujourd’hui n’existe pas en Europe.
En parallèle, l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur pèserait également très lourd sur la filière, puisque le texte prévoit l’entrée à droits nuls de 190 000 tonnes de sucre et 8 millions d’hectolitres d’alcool et d’éthanol, avec des conséquences importantes sur la production française. « Historiquement, la France a couvert les marchés du sud de l’Europe, mais ces derniers pourraient être demain fournis par le Brésil », prévient Guillaume Gandon. Sans compter que « tout ce qui va arriver du Mercosur ne respecte pas les normes » de l’UE, ajoute-t-il, puisque qu’une quarantaine de produits phytosanitaires interdits en Europe sont encore utilisés dans ces pays d’Amérique latine.
Une Europe qui abandonne ses producteurs ?
Quand les grandes puissances agricoles comme les États-Unis ou la Chine renforcent le soutien à leur agriculture, la politique menée par l’UE dans le cadre des accords de libre-échange semble à contre-courant. « Le monde a changé », explique Brigitte Misonne, directrice générale adjointe de la DG Agri à Bruxelles. « On a perdu nos repères traditionnels, le grand frère américain a une autre approche, la Russie avec laquelle on avait commencé une politique de rapprochement s’est révélée avoir une autre face, nos relations sont compliquées avec la Chine… », liste-t-elle.
Or, l’Europe doit protéger l’ensemble des Européens, et « on n’arrive pas à se créer des alliés sans avoir quelque chose à offrir, sans être attractif ». « Je comprends que le secteur agricole ait l’impression d’être la variable d’ajustement lorsqu’il s’agit de trouver des alliés et de conclure des accords avec de plus en plus de pays tiers », poursuit-elle, et il faut, par conséquent, introduire dans ces accords des dispositions qui protègent l’agriculture.
Il est ainsi possible de ne pas ouvrir entièrement le marché, mais de négocier un volume, ou de ne pas nécessairement accorder un droit à zéro. On peut également spécifier le contingent, ou enfin mettre en place des clauses de sauvegarde de plus en plus contraignantes, comme c’est le cas dans les derniers accords signés avec les pays tiers, explique ainsi Brigitte Misonne.
Des propositions pour mieux réguler le marché du sucre
Cependant, les mesures en place demeurent insuffisantes aux yeux de la CGB qui propose plusieurs leviers afin de mieux réguler le marché du sucre. Premièrement, le prix de référence, fixé à 404 €/t sous la période des quotas, devrait aujourd’hui être réévalué en fonction de l’inflation, pour atteindre 585 €/t, indique Guillaume Gandon. Il ne s’agit pas forcément de développer le stockage public, qui présente l’inconvénient de devoir ensuite trouver des marchés, comme le rappelle Brigitte Misonne. « Notre crainte, développe le vice-président de la CGB, c’est que cette référence soit finalement la cible des utilisateurs de sucre et c’est pour cela que l’on demande à ce qu’elle soit révisée. »
Le syndicat propose également d’activer le stockage privé de façon automatique, de permettre un dégagement vers la filière éthanol, « soupape de sécurité », en cas d’excédent de marché », mais aussi de bloquer les importations lorsque l’on constate que le marché est trop affecté.
Si Brigitte Misonne n’est pas fondamentalement opposée à ces idées, elle attend davantage de précisions quant aux conditions de leurs mise en œuvre. La directrice adjointe de la DG Agri propose de son côté aux planteurs de mobiliser l’article 222 du règlement OCM, qui permet aux organisations de producteurs de s’entendre, en cas de crise, pour réguler le marché. Et si les coopératives ne sont pas considérées comme des organisations de producteurs en France, « pour l’Europe, les coopératives sont des OP », indique Brigitte Misonne. Ce qui signifie que l’activation de cette mesure exceptionnelle permettrait « aux fabricants français de s’entendre pour baisser ou augmenter les surfaces afin de réguler le marché du sucre, sans regard du droit de la concurrence », explique Guillaume Gandon.