Trois hivers de mobilisation : une ère d’incertitudes pour les agriculteurs
AFP le 21/12/2025 à 09:15
Aléas climatiques, crises sanitaires et pression des marchés mondiaux : les agriculteurs français, de moins en moins nombreux et confrontés à la précarité d'un métier de vocation difficile, se mobilisent plus fréquemment, signe d'un dialogue et de politiques agricoles à repenser.
Dès l’automne 2023, la coupe est pleine et des manifestations éclatent : des normes européennes « trop contraignantes », des charges « toujours en hausse », « concurrence déloyale » des volailles ou du sucre d’Ukraine…
Janvier 2024 : les premiers blocages d’autoroutes préparent le terrain pour un Salon de l’Agriculture sous haute tension. Les tracteurs partent à l’assaut de Paris.
Un an plus tard, le vase déborde : l’instabilité gouvernementale a retardé les projets de loi promis et attendus par la profession, confrontée à sa pire récolte de blé en 40 ans, à des vendanges en chute libre et à des maladies bovines et ovines dévastatrices comme la fièvre catarrhale (FCO) et la maladie hémorragique (MHE).
« On est dans une ère de multiplication des aléas », explique Aurélie Catallo, directrice agriculture à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), énumérant « les aléas climatiques extrêmes », les « aléas sanitaires » mais aussi les « aléas de marché » (prix des céréales vendues ou des engrais achetés). « Difficile » donc pour les agriculteurs de réunir les conditions pour produire mais aussi d’avoir « confiance » et de « prévoir » ce qui pourrait leur arriver.
La loi d’orientation agricole, adoptée de justesse avant le Salon de l’Agriculture 2025, calme temporairement les manifestations mais le débat explose quelques mois plus tard avec la loi dite Duplomb, critiquée par les écologistes. Celle-ci vise à lever les « contraintes » qui pèsent sur les agriculteurs, en réintroduisant un pesticide néonicotinoïde interdit en France mais autorisé ailleurs en Europe, en facilitant la construction de bassines et l’agrandissement d’élevages.
« Défiance »
La ministre de l’Agriculture Annie Genevard, arrivée en septembre 2024, répète inlassablement qu’agriculture et environnement ne doivent pas s’opposer mais le clivage sociétal est entretenu par des discours qui se radicalisent de part et d’autres.
« L’incompréhension » des mesures de protection de l’environnement et leur technicité « génère de la méfiance, voire de la défiance », affirme Aurélie Catallo, appelant les politiques à mieux les expliquer et à accompagner les agriculteurs dans leur application.
« Nous n’avons plus de vision claire pour l’agriculture. À prétendre qu’on peut être les plus compétitifs sur le prix, garder un modèle agricole familial et être les champions sur l’environnement », on complique les arbitrages et la nuance, ajoute-t-elle.
Les syndicats demandent une « vision » d’ensemble mais ont chacun un objectif différent : pour la FNSEA et les JA une capacité à produire et entreprendre libérale, pour la Confédération paysanne une réelle transition agroécologique et pour la Coordination rurale une abolition des normes et des contrôles.
Sécheresses, canicules, pluies s’enchaînent du printemps à l’automne 2025, pendant les grands travaux agricoles. Les revenus des céréaliers sont au plus bas et leurs coûts de production sont menacés par la taxe carbone européenne sur les engrais importés. Les viticulteurs arrachent leurs vignes, quand elles n’ont pas brûlé comme dans l’Aude.
La dermatose nodulaire contagieuse (DNC) arrive pour la première fois en France en juin, en Savoie, la peste porcine africaine est aux frontières du pays et la grippe aviaire reprend après deux ans d’accalmie.
L’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur poursuit son chemin, malgré l’opposition de la France, et les négociations pour la politique agricole européenne commune post-2027 s’ouvrent par des annonces décriées de coupes budgétaires et de restructuration.
« Mobilisation longue »
L’abattage mi-décembre de 200 vaches en Ariège après la découverte d’un foyer de DNC est « la goutte d’eau qui fait déborder l’océan », affirme Lionel Candelon, président de la chambre d’agriculture du Gers, issu de la Coordination rurale.
Ce syndicat, qui avait intensifié son dialogue avec le gouvernement après sa percée aux dernières élections professionnelles en janvier, a changé de direction en novembre et retrouvé sa ligne dure traditionnelle, adepte des actions coup de poing dans ses bastions du Sud-Ouest.
Pour Aurélie Catallo, il est logique que la colère ait éclaté dans cette région, plus pauvre et en première ligne des aléas climatiques et sanitaires ces dernières années.
Décembre, période plus calme pour les travaux agricoles, s’embrase et, comme pendant l’hiver 2023-2024, certaines mobilisations semblent échapper au contrôle des bureaux nationaux des syndicats.
Après les annonces du gouvernement cette semaine, aucun n’a clairement appelé à lever les blocages : « pause », « repos », « trêve de Noël », « rendez-vous en janvier », « la mobilisation sera longue », ont-ils prévenu.
Les ingrédients sont « réunis » pour des mobilisations agricoles en janvier-février, traditionnelle période pré-Salon de l’Agriculture où « la profession agricole fait pression sur le politique », affirme Aurélie Catallo. Voire pour une « crise plus intense et généralisée », prévient-elle.