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Impact du Covid

Sur le marché des grains, les perspectives à moyen terme restent baissières


TNC le 09/06/2020 à 18:04
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Pour l'économiste Philippe Chalmin, au delà de son impact actuel sur les marchés, la crise sanitaire révèle peut-être une mutation profonde de nos modèles de croissance. (©Pixabay/Terre-net Media)

La dernière édition du rapport Cyclope sur les marchés mondiaux consacre un chapitre préliminaire aux impacts de la crise sanitaire sur les cours des matières premières. Si des effets contrastés ont pu être visibles, selon les productions, lors du confinement de la moitié de la population mondiale, à moyen terme les perspectives baissières restent de mise, en tout cas pour le marché des grains.

Le Covid a eu un effet négatif sur la plupart des marchés des matières premières, indique le rapport Cyclope diffusé le 9 juin, mais les marchés agricoles demeurent peu affectés par le coronavirus. Des tensions ont été observées sur certaines productions, comme pour le riz en raison des problèmes d’exportations des deux grands pays producteurs (Vietnam et Inde), ce qui a fait grimper les prix de plus de 10 % entre début janvier et fin avril 2020. Cependant, les perspectives de production étant très correctes pour la campagne à venir, il n’y aura pas de problème sur le marché mondial, prévoit Philippe Chalmin, économiste et co-directeur du rapport. Des tensions identiques, quoique moins marquées, ont également été observées sur le marché du blé, tensions « qui ont fait craindre, à l’occasion de la crise, que nous nous dirigions vers une crise alimentaire », comme en 2008. « La situation n’est en rien comparable », poursuit Philippe Chalmin, pour qui les perspectives sur marchés céréaliers restent relativement négatives en ce qui concerne l’évolution des marchés.

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La crise pétrolière plombe le maïs

Avec le confinement de près de la moitié de la population mondiale et le ralentissement des activités, l’énergie a été fortement impactée par la crise. La chute des cours du pétrole a entraîné dans sa chute celle des biocarburants comme l’éthanol, et par conséquent le maïs et le sucre. La situation est particulièrement problématique aux États-Unis où, cette année, les producteurs avaient favorisé les emblavements de maïs par rapport au soja. Les prévisions de récolte avoisinent les 400 millions de tonnes, et un tiers du maïs américain est habituellement destiné à la fabrication d’éthanol.

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« De surcroît, on est en droit de s’interroger sur la demande chinoise : au-delà des déclarations officielles outrageusement sous-évaluées, l’impact de la pandémie sur l’élevage, déjà dévasté par la fièvre porcine, a été considérable – ce dont témoigne la baisse des importations de soja – tandis que les semis de printemps ont pris du retard : à ces deux tendances inverses, on peut ajouter l’incertitude récurrente sur les stocks de céréales que le pays détient », souligne par ailleurs le rapport, qui juge les incertitudes plus grandes qu’en blé.

Baisse du niveau de vie et manque de main d’œuvre impactent le marché des viandes

Le Covid a impacté le marché des viandes à plusieurs niveaux : baisse de la consommation en raison de la baisse du niveau de vie, manque de main d’œuvre dans les entreprises de transformation, perturbation de la logistique nécessaire au commerce, effondrement des prix du pétrole qui ont amputé les capacités d’achat des pays pétroliers importateurs… Cependant, les prix de la viande selon la FAO restent supérieurs de 7 % en mars 2020 à ceux de mars 2019. Globalement, ce sont surtout les modifications des modèles de consommation qui ont pesé, ainsi que les problèmes logistiques, sur les prix des viandes et des produits laitiers.

La viande bovine, relativement chère, est la plus impactée « sera donc plus sensible à la baisse des revenus, sa consommation sera d’autant plus diminuée par la récession économique due au Covid-19 qu’elle est plus consommée dans les restaurants, hôtels et fast-foods aujourd’hui désertés », indique le rapport. C’est d’ailleurs la viande qui a déjà connu le plus fort repli de ses prix début avril.

Le Covid, accélérateur de la fin d’un cycle ?

Ainsi, à côté de la crise économique liée à la crise sanitaire, il y a eu « un choc de demande, plus ou moins marqué selon les produits, avec des évolutions de prix parfois attendues, parfois surprenantes, suivies par un contrechoc énergétique », souligne Philippe Chalmin. Néanmoins, ce contrechoc énergétique n’a pas son origine dans la crise sanitaire : « tous les 20 à 30 ans, nous avons une crise profonde, avec un choc sur les prix qui déclenche tout un mécanisme d’investissements nouveaux, explique l’économiste. Des investissements qui finissent par porter leurs fruits, ce que l’on constate quand les marchés deviennent excédentaires. Et c’est ce que l’on connait sur les marchés des commodités depuis 2014 ». Pour Philippe Chalmin, la crise a donc plutôt amplifié un mouvement qui était déjà à l’œuvre, et elle n’a pas eu, sur les marchés internationaux, « d’impact si important que cela si ce n’est que d’avoir mis en évidence les fragilités et les difficultés des uns et des autres, y compris dans le monde du négoce international ».

« Peut-être y-a-t-il, devant nous, une mutation profonde dans nos modèles de croissance économique », estime l’économiste, pour qui la crise a accéléré, d’une certaine façon, la fin de la « mondialisation heureuse » qui montrait ses limites depuis quelques années. Face à cela, l’une des stratégies sur les marchés mondiaux sera peut-être la « décommoditisation », dans les minerais et métaux, mais aussi en agriculture où, au lieu de produire des commodités, la production plus locale, en AOP, IGP, en circuits courts peut constituer « une porte de sortie » qui a d’ailleurs représenté une tendance forte pendant le confinement.