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[Interview] Loi Egalim 2

Sortir le maillon intermédiaire d’un « étau infernal » (Dominique Chargé)


TNC le 20/04/2021 à 14:00
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Conscient de l’échec de la loi Egalim, qui n’a pas permis de véritable retour de valeur aux producteurs, le gouvernement soutient la proposition de loi du député Grégory Besson-Moreau. Parmi les mesures phares de ce texte figure la sanctuarisation du prix de la matière première agricole. Pour le président de la Coopération agricole, Dominique Chargé, l’objectif d’améliorer la rémunération des agriculteurs est évidemment positif, mais les dispositifs pour y parvenir ne doivent pas, en revanche, fragiliser le maillon intermédiaire déjà affaiblit par les conséquences de la LME et de dix années de guerre des prix.

TNM : Après l’échec de la loi Egalim, la proposition de loi du député Grégory Besson-Moreau apporte-t-elle une première réponse ?

Dominique Chargé : Étant agriculteur, je vois bien quelle est aujourd’hui la problématique du revenu. L’objectif d’améliorer la rémunération des producteurs est donc positif, mais tel que prévu par la loi Egalim, on voit bien que cela a beaucoup de mal à fonctionner. D’où l’intérêt d’ajouter des dispositifs tel que le prévoit la proposition de loi de Grégory Besson-Moreau.

L’analyse que l’on fait, et qui a été partagée par le président de la République lors de son déplacement en Bourgogne, est qu’il y a un dysfonctionnement majeur entre le fonctionnement de la loi Egalim, qui introduit la construction des prix en marche avant, et la LME (NDLR : Loi de modernisation de l’économie) de 2008 qui, elle, fait l’inverse en donnant les moyens aux distributeurs de détruire les prix pour endiguer l’inflation. Pour nous, il y a un risque important puisque cela revient à placer le maillon intermédiaire dans un étau infernal. Or, la valeur ne peut se créer dans les territoires que si ce maillon intermédiaire reste en capacité de transférer cette valeur.

Ce maillon est en effet indispensable pour répondre aux objectifs de souveraineté alimentaire, d’autant plus qu’il a énormément d’investissements à faire notamment dans le cadre de la transition agroécologique. Le ministre de l’agriculture a lui-même reconnu que l’affaiblissement d’un des maillons avait pour conséquence mécanique l’affaiblissement de toute la chaine.

TNM : Comment pourrait-on corriger cet effet ?

Dominique Chargé : Nous demandons la révision des articles qui consacrent, dans la LME, la négociabilité des tarifs fournisseurs. Ces tarifs ne doivent pas être négociables d’emblée par le distributeur, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de négociation commerciale, mais celle-ci doit se faire avec un consentement mutuel entre les deux parties, par exemple via des avantages consentis au distributeur en échange de services. Aujourd’hui, alors qu’un fournisseur arrive avec son tarif tenant compte de l’ensemble de ses coûts de production -main d’œuvre, matière première agricole, charges et coûts d’innovation, d’investissements, etc.-, le distributeur négocie systématiquement ce tarif avec pour base le prix, diminué, de l’année précédente.

Au-delà de la nécessité d’une meilleure prise en compte des coûts de la matière première agricole, il faut aussi que nous ayons la possibilité d’émettre un tarif qui prenne en compte le coût de production des autres fournisseurs. Il en va de notre souveraineté alimentaire et de la réponse aux enjeux de la transition écologique et du changement climatique, c’est cela que l’on met en avant aujourd’hui. On est déjà dans un contexte extrêmement difficile pour certaines filières, entre la crise Covid, et maintenant le gel, un affaiblissement réglementaire supplémentaire du maillon intermédiaire pourrait remettre en cause tout le fonctionnement de la chaine alimentaire !

TNM : Cette proposition de loi n’est donc pas une solution viable, à long terme, pour les agriculteurs ?

Dominique Chargé : La solution ne peut pas uniquement être la sanctuarisation du prix de la matière première agricole. Même si c’est une avancée importante, dans laquelle on se reconnait, pour que les agriculteurs puissent mieux vivre de leur métier, ça ne peut pas se faire au détriment du maillon déjà fragilisé par 10 ans de déflation avec la LME. D’autant plus qu’on sera probablement encore déflationniste sur le plan des négociations commerciales 2021, alors même que nous sommes dans un contexte historique d’augmentation du prix des matières premières.

Comme le ministre l’a dit, il y aura une période de consultation dans les jours ou les semaines qui viennent. L’inquiétude est unanime et partagée par les agriculteurs associés coopérateurs, qui savent parfaitement l’importance de la viabilité de leur outil collectif. La possibilité de mieux vivre grâce à une réglementation qui affaiblit cet outil n’est pas une bonne réponse puisque cela menace au final la pérennité de leur activité sur le territoire. Et les agriculteurs ne peuvent pas se satisfaire d’une disposition qui serait une chimère, dans la mesure où elle proposerait plus à l’activité économique de l’exploitation, mais en sacrifiant les coopératives…