Saint-Louis Sucre vise 900 planteurs engagés en agriculture régénératrice d’ici 2030
TNC le 27/06/2025 à 04:53
Accompagnement technique et financier, mise en place d’une ferme pilote… Saint-Louis Sucre actionne depuis 2018 de multiples leviers pour accompagner les producteurs de betteraves et proposer à ses clients un sucre local répondant aux attentes de décarbonation et d’agroécologie.
30 % des planteurs certifiés en agriculture régénératrice, c’est la feuille de route que s’est fixée Saint-Louis Sucre pour 2030. À date, 300 producteurs sont engagés dans le programme*. L’objectif est « d’obtenir une meilleure résilience face aux aléas climatiques en réduisant l’utilisation d’intrants et les émissions de CO2 et en boostant la fertilité des sols, afin de proposer un sucre local répondant aux attentes des clients et des consommateurs », explique Ughau Debreu, responsable de la durabilité agricole chez Saint-Louis Sucre.
« Notre mission est d’accompagner les producteurs et de tester les pratiques innovantes pour limiter au maximum la prise de risque », souligne Thomas Nuytten, directeur betteravier. Le sucrier s’appuie, pour cela, sur la démarche Mont-Blanc, lancée depuis 2014. Cela représente entre 60 et 120 essais grandes bandes réalisés chaque année chez les producteurs pour produire des référentiels agronomiques solides, au plus près des conditions agriculteurs. »
« Partager les risques »
OAD, agriculture de précision, biosolutions, désherbage mécanique, robotique, travail du sol… : les thématiques de travail sont diverses. « On est tous dans des contextes différents, selon les types de sols notamment, donc c’est intéressant de multiplier les essais », souligne Romain Fayolle, agriculteur installé à Trie-Château (Oise), qui a intégré la démarche.
Dans une même parcelle, l’idée est de comparer une pratique innovante à celle classique du producteur. Les essais sont mis en place dans un cadre rigoureux, avec un protocole établi entre l’agriculteur et l’agent de plaine car Saint-Louis Sucre s’engage à couvrir la perte de rendement potentielle afin de partager les risques de la transition.
En moyenne, « on observe une baisse de rendement de 12 % sur les trois premières années de transition », indique Thomas Nuytten. Mais ça dépend des contextes : « certains performent et c’est plus compliqué dans d’autres cas. On a eu quelques déboires avec le strip-till (jusqu’à – 60 % de rendement) par exemple, parce qu’on ne savait pas bien l’utiliser. Mais on a poursuivi les essais pendant 3 ans et on maîtrise mieux la technique désormais, en passant d’abord à l’automne avec une dent de 19 cm. On revient au printemps avec une dent courte (3 cm), et on prend soin de semer 8 à 10 jours plus tard qu’en conventionnel car il faut que le sol soit plus réchauffé. »
« Concentrer la betterave sucrière sur 3 ans dans la rotation »
Pour compléter cette démarche, Saint-Louis Sucre s’est également doté d’une ferme expérimentale, installée sur la réserve foncière historique de la sucrerie d’Étrépagny (Eure). « Les 80 ha de l’exploitation étaient cultivés de manière conventionnelle depuis 80 ans et on a initié notre projet de transition en 2020 », explique le responsable de la ferme, Clément Bunias. L’objectif : « créer des références agronomiques autour de la conversion en agriculture régénératrice et les déployer à nos agriculteurs ».
Le responsable retient 6 étapes clés de cette transition :
– le diagnostic completde l’exploitation (chimique, biologique et physique) « pour caractériser l’ensemble des parcelles, connaître leur taux de MO et identifier les étapes à réaliser » ;
– la conception d’une nouvelle rotation. Elle est désormais composée de 8 cultures : betteraves sucrières / céréale / betteraves sucrières / maïs grain ou orge de printemps / céréale / colza associé / céréale sous couvert de trèfle / céréale sous couvert de trèfle.
« L’une des spécificités est de concentrer la betterave sucrière sur 3 ans, et ensuite laisser 5 ans pour restructurer le sol, avec une succession de cultures adaptées. » En plus de la rotation, « du miscanthus, de la luzerne et de la féverole sont implantés dans les parcelles plus hétérogènes de la ferme. À terme, la féverole, développée par les équipes de Saint-Louis Sucre pour l’alimentation humaine, devrait venir s’intercaler dans la rotation » ;
– l’intensification du végétal : « on essaie d’introduire des cultures qui vont restituer de la matière sèche comme le maïs grain et de développer les couverts végétaux. Deux kilomètres de haies et plus d’un hectare de bandes fleuries ont aussi été installés et depuis le printemps, l’exploitation héberge 9 ruches pour valoriser ce territoire favorable à la biodiversité » ;
– la réduction du travail du sol : « on a arrêté le labour en 2020, mais on ne veut pas être dogmatique, on ne se l’interdit pas, non plus, en fonction du contexte » ;
– la gestion de la fertilisation organique et minérale pour accompagner les cultures dans cette transition. « L’objectif à terme, c’est bien de réduire la fertilisation azotée grâce aux différents leviers d’auto-fertilité du sol actionnés, mais il faut faire attention à ne pas aller trop vite » ;
– la réduction du recours aux produits phytosanitaires à travers « l’utilisation d’oligo-éléments, de biostimulants, et la gestion de la fertilisation azotée… ».
Aujourd’hui, « on note un gain de 0,1 point de MO/an (le taux est environ à 2,5 % aujourd’hui, des rendements céréaliers globalement stables ou en hausse, de bons rendements betteraviers comparés à la moyenne du secteur depuis 2 ans et un bilan carbone amélioré, avec la séquestration de carbone par les couverts végétaux », indique Clément Bunias.
En parallèle, « on teste différentes technologies de pointe. Exemple depuis 3 ans avec le robot Farmdroïd FD 20, capable de semer et biner les betteraves ». Cette campagne, « la météo a offert de belles fenêtres pour le désherbage mécanique, mais on a connu des contextes plus compliqués ces deux dernières années pour intervenir », précise Thomas Nuytten.
Cinq indicateurs de progression
En plus des références qui s’accumulent, chaque agriculteur engagé dans le programme d’agriculture régénératrice peut bénéficier d’un accompagnement technique de Saint-Louis Sucre et participer aux différentes réunions de groupe organisées sur le terrain, « où partager échecs et réussites », précise Romain Fayolle.
Pour le suivi, cinq indicateurs de progression ont été choisis, en lien avec l’organisation Earthworm :
– couverture des sols (suivie par satellite) : « les agriculteurs engagés comptent 249 jours de couverture en moyenne en 2024 » ;
– diversité des plantes cultivées : « près de 80 % des producteurs ont dépassé le niveau moyen ou élevé en 2024, notamment grâce aux couverts multi-espèces » ;
– intensité du travail du sol (STIR, profondeur x vitesse x surface travaillée x cœfficient de perturbation) : « le niveau moyen de réductin est dépassé pour plus de 55 % des agriculteurs » ;
– biomasse des couverts : « 41 % des agriculteurs ont atteint le niveau moyen/élevé de biomasse, il faut préciser que l’année 2024 a été peu propice à la production de biomasse » ;
– émissions de GES : « près de 55 % des planteurs ont des émissions de GES inférieures à 3 300 kg/ha (eq CO2) ».

À terme, « l’objectif est de proposer une valorisation supplémentaire pour les agriculteurs certifiés, via un avenant au contrat, précise Thomas Nuytten. C’est déjà le cas aujourd’hui pour certains, grâce aux premiers clients volontaires, et plusieurs groupes internationaux sont demandeurs ».
* Le programme d’agriculture régénératrice de Saint-Louis Sucre a fait l’objet d’un appel à manifestation d’intérêt PRAAM dans le cadre de France 2030 (« Prise de risque amont aval et massification de pratiques visant à réduire l’usage des intrants sur les exploitations agricoles »).