Remplacer les agricultrices enceintes, « sur le papier c’est super »
AFP le 07/03/2024 à 10:15
« On ne peut pas laisser en pause une exploitation le temps de faire un bébé » : Céline Vuitton, agricultrice, bénéficie d'un remplacement le temps de son congé maternité, un droit acquis tardivement et compliqué à mettre en oeuvre.
Productrice de plantes aromatiques et de châtaignes, cette cheffe d’exploitation attend son deuxième enfant. Or, « à cette période de l’année, il y a pas mal de travail en forêt : couper les arbres, sortir les troncs, broyer les branches », explique-t-elle en montrant ses parcelles perchées à 700 mètres d’altitude sur des terrains escarpés à Beauvène (Ardèche).
A sept mois et demi de grossesse, une sciatique l’a conduite à prendre un congé pathologique prénatal. D’ici sa reprise début juillet, plusieurs salariés assureront son travail, grâce au Service de remplacement agricole.
Ce dispositif, supervisé par les organisations professionnelles, propose aux agriculteurs des remplaçants en cas d’absence, y compris pour les congés maternité et paternité. Pour sa première grossesse, Céline Vuitton y a déjà eu recours et « ça s’est super bien passé », témoigne-t-elle.
Cette fois, « une personne s’occupe un jour par semaine des plantes et deux autres font du bûcheronnage à ma place dans la châtaigneraie trois jours par semaine », détaille l’agricultrice de 32 ans, dont la veste dissimule le ventre rebondi. Mais elle continue à gérer l’administratif.
« 12 heures par jour »
Les agricultrices n’ont obtenu un congé maternité que près de 70 ans après les salariées, avec une durée inférieure jusqu’en 2008. Ce congé se traduit par une allocation de remplacement ou par des indemnités journalières quand aucun suppléant n’est trouvé.
Pour y avoir droit, les agricultrices font une demande à la Mutualité sociale agricole (MSA), le régime de protection sociale obligatoire des professionnels de l’agriculture qui paie les remplaçants. Entre six et sept agricultrices sur dix y ont recours, selon la MSA.
Le Service de remplacement gère tout l’administratif. C’est lui qui est censé trouver les salariés temporaires, même si, dans les faits, beaucoup d’agricultrices s’en chargent elles-mêmes. Céline Vuitton a ainsi fait appel à son conjoint, élagueur, à un voisin et à des amies.
La jeune femme apprécie grandement le dispositif, malgré quelques bémols. Si elle a « confiance » dans ses remplaçants, elle sait qu’elle est « plus efficace ». « Car ce sont des gestes que je fais tous les jours », explique-t-elle. Et « le service de remplacement, c’est 7 heures par jour. En pleine saison, on bosse 12 heures par jour », tempère-t-elle également.
« Problème de recrutement »
Clara Gasser, éleveuse de chèvres et de brebis à Châteauneuf-de-Bordette (Drôme), a traversé « un moment très angoissant » lors de sa troisième grossesse. Avec son conjoint et associé, ils avaient trouvé deux personnes pour assurer les traites du matin et du soir ainsi que la fabrication de fromage. Mais elles ont arrêté « quinze jours avant le terme de la grossesse », notamment à cause des contraintes du poste.
« Ç’a été très compliqué de trouver quelqu’un dans l’urgence », relate-t-elle, sa fillette de deux semaines dans les bras. Son conjoint, Sylvain Roumeau, espérait « pouvoir profiter pleinement de l’arrivée » de sa fille, mais a dû reprendre le travail rapidement. « Ses premiers jours, je ne les rattraperai jamais… », regrette-t-il.
Alors pour Clara Gasser, le remplacement, « sur le papier, c’est super », mais « le problème c’est le recrutement ». C’est « difficile à mettre en place parce que long et sept jours sur sept », reconnaît Alexandra Maistre, animatrice du Service de remplacement en Ardèche.
Les freins sont « un manque d’informations », une « offre de remplacement pas toujours suffisante ni adaptée » et certaines cheffes d’exploitation « ont parfois du mal à lâcher les rênes », complète la sénatrice de la Drôme Marie-Pierre Monier, corapporteure de rapports sur les femmes en milieu rural.
Elle préconise, entre autres, d’informer les futures agricultrices dès le lycée agricole et d’instaurer des quotas pour que les femmes portent le sujet dans les instances de gouvernance agricoles.
En attendant, Céline Vuitton profite de lever le pied. « J’aime vraiment bien quand ça n’est pas moi qui le fait », rit la productrice de châtaignes en regardant ses remplaçants couper du bois.