Regain de tensions en Europe autour des céréales ukrainiennes
AFP le 18/09/2023 à 18:55
L'annonce par Bruxelles de la fin de l'interdiction imposée par cinq États de l'UE sur l'importation de céréales ukrainiennes a enflammé les esprits, provoquant des embargos unilatéraux auxquels Kiev a répliqué lundi en annonçant porter plainte devant l'OMC contre trois pays européens. (Article mis à jour à 21h15)
Interdictions : où et pourquoi ?
Depuis le lancement de l’offensive russe qui entrave l’accès à la mer Noire, les pays voisins de Kiev sont devenus incontournables pour le transit de blé, maïs, colza et tournesol ukrainiens vers l’Afrique et le Moyen-Orient.
Seulement voilà : à la suite de la levée des droits de douane de l’UE en mai 2022, une partie des denrées sont restées bloquées dans ces pays, en raison de leurs tarifs avantageux et de problèmes logistiques.
Devant la saturation des silos et l’effondrement des prix locaux, plusieurs des pays concernés avaient donc au printemps décrété un embargo unilatéral. Des restrictions temporairement autorisées par Bruxelles, sous réserve de maintenir le passage des céréales vers d’autres destinations.
Mais l’accord a expiré vendredi et la Commission a décidé de ne pas le renouveler, évoquant « la disparition des distorsions » et l’amélioration des conditions d’acheminement.
La Hongrie a aussitôt riposté, annonçant une extension des restrictions à 24 produits au lieu de quatre, suivie de la Pologne où le gouvernement de droite populiste en fait « une question fondamentale » à un mois d’élections parlementaires.
Idem pour la Slovaquie qui a décrété un embargo jusqu’à la fin de l’année, tandis que la Roumanie s’est dite prête à faire de même pour une durée d’un mois si elle n’obtenait pas les garanties nécessaires de Kiev. Le maître mot : « Protéger les agriculteurs ».
La riposte de Kiev
En représailles, l’Ukraine a annoncé lundi une plainte devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) contre les trois pays ayant prolongé l’embargo : Pologne, Slovaquie et Hongrie.
« C’est pour nous crucial d’établir que des États membres ne peuvent pas interdire à titre individuel l’importation de biens ukrainiens », a expliqué la ministre de l’Économie Ioulia Svyrydenko dans un communiqué.
Les exportateurs ukrainiens « continuent de subir d’importantes pertes » liées à ces interdictions, a argumenté la ministre, espérant trouver un compromis avant une action en justice devant l’OMC, qui prendrait « très longtemps ».
L’esprit ne semble toutefois pas à la concorde: dès lundi soir, Varsovie a annoncé maintenir l’embargo malgré la saisine de l’OMC.
« Nous maintenons notre position, nous pensons qu’elle est juste, elle est aussi le résultat d’une analyse économique et des pouvoirs qui découlent du droit communautaire et international », a déclaré Piotr Müller à la télévision Polsat News, ajoutant que la plainte devant l’OMC « ne nous impressionn(ait) pas ».
L’exception bulgare
La Bulgarie fait, elle, bande à part sous l’impulsion de son gouvernement pro-européen, au nom de « la solidarité avec l’Ukraine » et de la nécessité de « garantir la sécurité alimentaire à l’échelle mondiale ». Elle se distingue de ses voisins car elle compte de grands producteurs d’huile de tournesol qui se plaignaient ces derniers mois d’une grave pénurie de graines et de prix élevés. S’ils ont salué « un triomphe de la raison », les puissants producteurs de céréales sont remontés : ils ont bloqué lundi des ponts et des carrefours dans tout le pays.
La Roumanie, principale porte de sortie
Depuis l’abandon en juillet par la Russie de l’accord qui avait permis à l’Ukraine d’exporter directement par la mer Noire des dizaines de millions de tonnes de céréales, les corridors terrestres et fluviaux traversant l’Europe sont montés en puissance.
« Toutes les céréales transitent désormais par les « Solidarity lanes » qui fonctionnent de mieux en mieux du fait d’un soutien accru apporté par l’UE depuis le début du conflit », dit à l’AFP Olia Tayeb Cherif, responsable d’études de la Fondation Farm, groupe de réflexion dédié aux questions agricoles. En revanche, il est difficile de savoir « combien exactement sont réexpédiées ».
La Pologne les achemine par la route jusqu’à la mer Baltique. Mais c’est via la Roumanie que sont transportées les plus grosses quantités. Au coeur du dispositif, le port de Constanta en mer Noire, d’où les produits arrivent en train, par la route ou en bateau, après un périple sur le Danube marquant la frontière avec l’Ukraine.
Cette route se trouve dans le viseur de Moscou, qui a multiplié ces derniers semaines les bombardements contre les ports fluviaux de Reni et Izmaïl.
Devant les goulets d’étranglement, Kiev et Bucarest ont signé en août un accord pour tenter de désengorger le trafic. A terme, la Roumanie devrait voir transiter sur son territoire 60 % des exportations totales de céréales ukrainiennes.
« Grâce à de gros efforts, nous avons déjà atteint 2,5 millions de tonnes par mois », a déclaré lundi le Premier ministre Marcel Ciolacu, qui appelle à accentuer la cadence pour atteindre 4 millions au plus vite.
Les petits poucets
Dans la Bulgarie voisine, les ports de Varna et de Bourgas représentent l’autre voie possible en mer Noire, mais ils pâtissent d’infrastructures vétustes, notamment routières.
La Croatie est aussi sur les rangs. Le port de Rijeka, à quelque 70 kilomètres de la frontière italienne, a vu passer 100 000 tonnes de grains ukrainiens via la Hongrie depuis mai 2022.
Et si la Russie continue à dominer le marché mondial, les agriculteurs ukrainiens résistent, avec une production évaluée à 20,5 millions de tonnes de blé pour 2023-24, contre 33 millions en 2021-22, avant l’invasion russe, selon les chiffres du cabinet Agritel.