Ras-le-bol aussi chez les agriculteurs bio
AFP le 01/02/2024 à 11:55
« On est en train de crever », résume une agricultrice bio, symbole d'une filière en crise depuis plusieurs années, qui représente 14 % des fermes françaises et pâtit des marges de la grande distribution ou de la concurrence « déloyale » des importations sans critères de qualité.
L’AFP a recueilli des paroles d’exploitants engagés dans ces démarches environnementales et leur opinion sur les revendications du monde agricole, mobilisé en France et en Europe.
« Trop de marge des distributeurs sur le bio »
Aurore Sournac, 50 ans, maraîchère bio à Eysines (Gironde) qui approvisionne dix AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) : « C’est l’ensemble de l’agriculture qui se révolte. C’est un ras-le-bol général. La presse fait beaucoup de tapage en disant que le bio est trop cher, mais elle ne va pas au fond du problème, à savoir la grande distribution qui prend trop de marge dessus. La tomate bio en gros est au même prix que la tomate conventionnelle, mais vous la retrouvez en grande distribution à 5 ou 6 euros le kilo. Qui a fait la marge ? La grande distribution. Et à côté de ça, les agriculteurs crèvent. »
« Plus on se certifie, plus il y a d’administratif »
Dominique Gaborieau, 45 ans, céréalier sur 400 hectares à Genouillé (Vienne), lauréat 2022 du « Trophée de l’agroécologie » du ministère de l’Agriculture : « Les démarches administratives sont très lourdes au quotidien, pour moi c’est au moins huit heures par semaine. C’est beaucoup. Plus on se certifie, plus on cumule d’administratif, en prétendant à des aides, à des labels. (…) On essaie d’être moins dépendants des énergies fossiles, de travailler avec des éleveurs (pour l’épandage)… Il faudrait peut-être rendre des formations obligatoires chez les agriculteurs pour prendre conscience qu’il y a des choses à faire évoluer sur nos exploitations. »
« Les petits paysans sont en train de crever »
Virginie Morin, 46 ans, éleveuse de brebis en bio sur 55 hectares dans les Pyrénées-Orientales et co-porte-parole départementale de la Confédération paysanne : « La sécheresse sévit depuis bientôt trois ans (…) On ne sait pas ce qu’on va devenir cette année. Les mesures (du gouvernement) ont été faites par des gens qui sortent de l’ENA, qui ne connaissent rien au terrain. A court terme, on voudrait que tout soit gelé, une année blanche, ne pas payer de MSA (mutualité sociale agricole) ou de remboursement de prêts, rien. On n’a même plus d’argent pour acheter du foin. L’eau devrait être pour tout le monde (mais) actuellement ce sont les gros qui pompent à mort. Nous, les petits paysans, on est en train de crever. »
« Les importations déstructurent le marché »
Téo Boutrelle, 34 ans, maraîcher bio sur 5 hectares avec son frère et trois salariés en Aveyron, à l’ouest de Rodez: « Ce n’est pas normal d’être à flux tendu en permanence. Nos salariés mériteraient de meilleurs salaires. Ils sont tous à 25 heures par semaine et à 14 euros de l’heure. Le plus dur pour nous, ce sont les importations qui viennent déstructurer le marché, produites à bas coût social et environnemental. Il faudrait instaurer des taxes à l’importation pour qu’il y ait un prix minimum d’entrée des produits dans le pays qui corresponde aux coûts de production français. »
« Reconnaître le bénéfice environnemental du bio »
Francis Larrea, 51 ans, maraîcher bio et arboriculteur sur 5 hectares à Mendionde (Pyrénées-Atlantiques) et président de l’association de transition agroécologique BLE Civam Bio du Pays basque : « Quand on voit sur les plateaux TV des responsables qui sont souvent des gros céréaliers de la FNSEA, ils parlent de normes environnementales, des 4 % de jachère et du gazole non routier (GNR)… mais pour nous, ce ne sont pas les seuls soucis. On défend plutôt le respect de la loi EGalim, comme l’objectif de 20 % de bio dans les cantines, et l’arrêt des traités de libre-échange (…) Nous, on demande aussi que soient reconnus les bénéfices environnementaux de nos pratiques. On protège les captages d’eau, la biodiversité… »
« On s’est diversifiés : apiculture et crêpes… »
Cyril Fournier, 32 ans, maraîcher bio à Eysines (Gironde) sur 17 hectares : « Certaines des revendications du mouvement en cours ne me touchent pas comme la Pac. Mais les problématiques sur le GNR ou la concurrence déloyale (d’autres pays), ça oui ! En bio on a des légumes de saison et il faudrait que les consommateurs, en ce moment, n’aient pas envie de manger de la tomate ou de la courgette, mais du produit français. (…) Depuis le Covid, on n’a plus de salariés, on a réduit nos volumes de vente : d’habitude on plantait 400 000 poireaux, maintenant c’est 150 000. On déclasse certains légumes bio pour les vendre en conventionnel et ne pas les perdre. (…) On s’est diversifiés : depuis quatre ans on s’est lancés dans l’apiculture. Et on a investi dans une remorque food-truck pour faire des crêpes et des gaufres lors d’événements sportifs ou culturels. Mais c’est sûr que ce n’est pas un revenu agricole. »