Qu’entend-on par souveraineté alimentaire ?
Jean-Louis RASTOIN, membre de l'Académie d'agriculture de France le 09/09/2021 à 06:37
Le concept de souveraineté alimentaire a été développé dans les années 1980 par le mouvement international Via Campesina. Sa définition a ensuite évolué au cours du temps, pour s'établir dans sa version la plus récente (selon le Réseau pour une Alimentation Durable) : "Droit des peuples à une production durable d'aliments sûrs, nutritifs et culturellement appropriés, sans que celle-ci porte préjudice aux droits des autres peuples". Le point sur ce que l'on entend par là avec l'Académie d'agriculture de France.
Les bases de définition de la souveraineté alimentaire
La notion générale de souveraineté a des bases constitutionnelles, et s’appuie sur des instruments juridiques relevant des États.
Pour la souveraineté alimentaire, le fondement est le droit à l’alimentation figurant à l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme des Nations Unies de 1947 ; ce droit n’est cependant inscrit dans la Constitution que d’une trentaine de pays.
La souveraineté alimentaire s’inscrit donc dans un objectif politique pouvant figurer dans les attendus des lois nationales (comme en France, dans la loi Egalim de 2018). On constate toutefois que les mesures normatives et les ressources budgétaires demeurent souvent insuffisantes pour s’approcher des principes de la souveraineté alimentaire selon Via Campesina :
- Assurer une alimentation durable à tous, s’inspirant des diètes traditionnelles;
- Donner la priorité au développement la production locale en vue d’approvisionner le marché domestique, plutôt que celui de l’exportation;
- Autoriser les États/Unions à se protéger des importations à trop bas prix;
- Autoriser des soutiens publics aux paysans, à condition qu’ils ne servent pas à exporter à bas prix;
- Garantir une stabilité des prix agricoles au niveau international, par des accords de maîtrise de la production.
La dimension internationale donne ainsi une configuration géopolitique au concept de souveraineté.
La prise en compte de la souveraineté alimentaire dans la réflexion politique
Les crises mondiales récentes (financière en 2007-2008, sanitaire et économique en 2020-2021) incitent les dirigeants politiques à réaffirmer la nécessité de la souveraineté alimentaire, pour assurer la sécurité alimentaire. Cette posture s’inscrit dans la contestation du cycle de mondialisation ; ce cycle, observable depuis les années 1980, connaît une stagnation à partir de 2010, mais demeure à un haut niveau.
Compte tenu de son caractère complexe (intégrant des considérations politiques, économiques et sociales), il est cependant difficile de mesurer le niveau de souveraineté alimentaire des pays.
Deux indicateurs d’ordre technique sont néanmoins calculables à partir des bilans alimentaires de la FAO : le taux d’autosuffisance alimentaire (TAS), et son corollaire, le taux de dépendance alimentaire (TDA).
Le TAS mesure la capacité théorique d’un pays ou d’une macro-région du monde à nourrir sa population avec sa production (TAS = Production nationale / (Production nationale + Importations – exportations).
Ce ratios est estimé par produit et groupe de produits alimentaires.
À partir d’un calcul de moyenne quinquennale 2014-2018, le tableau ci-dessous montre que :
- L’Afrique du Nord et l’ensemble du continent africain ont de faibles taux d’autosuffisance pour les produits fortement mondialisés (huiles, sucre, céréales);
- L’Amérique du Sud et du Nord sont excédentaires pour la plupart des produits;
- L’Asie est proche de l’autosuffisance;
- L’Union Européenne est déficitaire pour les oléagineux et huiles, les fruits, les produits de la mer et le sucre.

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Souveraineté alimentaire et alimentation durable
La souveraineté alimentaire – intégrant l’objectif d’alimentation durable pour tous – interpelle sur la stratégie à mettre en place pour y parvenir dans ses différents registres :
- Modèle de production,
- Modèle de consommation,
- Modalités des échanges internationaux de produits et de capitaux,
- Echelle territoriale de gouvernance.
De nombreuses contraintes devront être levées, notamment l’inertie des structures économiques nationales et internationales, la résistance des détenteurs de rentes, l’aversion au risque des acteurs des systèmes alimentaires, les pesanteurs administratives, etc.
Cependant, la transition écologique (et ses déterminants sociaux, économiques, environnementaux au sens large incluant le changement climatique) – annoncée durant la crise Covid-19 comme inéluctable par de nombreux dirigeants politiques et responsables du secteur privé et de la société civile – pose ainsi la question de sa mise en oeuvre dans tous les domaines, et notamment en priorité dans celui, vital, de l’alimentation humaine.
À cet égard, le concept de souveraineté alimentaire ouvre de nouvelles perspectives.
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