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Étude

Quels leviers pour un développement vertueux de la méthanisation sans élevage ?


TNC le 25/05/2022 à 18:03
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La méthanisation agricole non adossée à des systèmes d'élevage est la plus répandue en Île-de-France.  (©TNC)

Dans une étude publiée fin avril, AgroParisTech et Inrae font le point sur les impacts agronomiques et environnementaux de la méthanisation agricole sans élevage en Île-de-France et donnent leurs recommandations pour un développement vertueux de ce système.

La méthanisation agricole est fréquemment associée à l’élevage, dont elle valorise les effluents, mais une méthanisation agricole sans élevage se développe aussi. Cette dernière se caractérise par « le recours à des cultures intermédiaires à vocation énergétique (Cive) pour l’alimentation des digesteurs, complétées par des coproduits agricoles ou agro-industriels, des biodéchets ou, dans une faible proportion, des cultures dédiées à la production d’énergie », expliquent AgroParisTech et Inrae. 

Dans le cadre d’une étude financée par le ministère de l’agriculture et de l’alimentation*, les deux organismes se sont intéressés de plus près à ce système. L’objectif : « donner des premiers éléments de réponse sur les performances agronomiques et environnementales des systèmes de culture associés aux méthaniseurs sans effluents d’élevage, et ainsi déterminer les conditions de leur développement vertueux ». 

Pour cela, une enquête a été menée auprès de 22 agriculteurs impliqués dans les 11 méthaniseurs agricoles sans élevage de la région Île-de-France, lors de l’hiver 2020-2021. L’étude s’est aussi appuyée sur « la réalisation de prélèvements ainsi que sur des analyses des caractéristiques et de la dynamique de minéralisation des digestats pour les méthaniseurs concernés ». 

Types de digestat et ration correspondante pour les méthaniseurs agricoles enquêtés :

MéthaniseurDigestatRation du méthaniseur
1Brut1/3 Cive, 1/3 biodéchets, 1/3 déchets industries agro-alimentaires (dont pulpes de betteraves)
2Brut50 % Cive, 27 % pulpes de betteraves, 9 % issues de céréales, autres
3Brut60 % Cive, 33 % biodéchets, 7 % pulpes de betteraves
4Brut60 % Cive, 16 % pulpes de betteraves, 10 % issues de céréales, déchets industries agroalimentaires
5Brut50 % Cive, 25 % pulpes de betteraves, 15 % issues de céréales, 10 % déchets industries agroalimentaires
6Brut2/3 Cive, 1/3 pulpes de betteraves
7Liquide + solide50 % Cive, 30 % pulpes de betteraves, 5 % issues de céréales, déchets industries agroalimentaires
8Brut70 % Cive, 20 % déchets sucrerie, 10 % issues de céréales
9 et 10 (même propriétaire)Brut50 % Cive, 30 % pulpes de betteraves, 20 % autres matières premières agricoles (oignons, pulpes de pommes de terre, menues pailles, etc.)
11Liquide + solide16 % Cive, 30 % issues de céréales, 11 % issues de tri de carottes, 20 % issues de tri de pommes de terre, 24 % pulpes de betteraves

Quels impacts de la méthanisation sans élevage ? 

Les organismes ont cherché notamment à apporter des éléments aux agriculteurs pour qu’ils puissent « tenir compte des spécificités des digestats dans leur stratégie de fertilisation ». Les résultats montrent « que pour un grand nombre de caractéristiques, les digestats bruts et liquides se rapprochent d’un lisier porcin et les digestats solides semblent se rapprocher d’un fumier bovin ». « L’ensemble des données collectées lors de l’étude ont permis aussi de concevoir des scénarios et de les tester par modélisation.À l’échelle de la parcelle, les résultats viennent confirmer et préciser certains impacts de la méthanisation sans élevage, déjà mis en évidence dans la littérature », dont :

  • « Des effets plutôt favorables comme la production totale de biomasse augmentée, le stockage de carbone et des économies d’engrais de synthèse (N, P et K) » ;
  • « Des effets plutôt défavorables comme la volatilisation ammoniacale, la réduction de la production de biomasse non dédiée et la pression sur les ressources en eau » ;
  • « De nombreux autres impacts sont soit neutres soit très incertains et confirment la nécessité de poursuivre des recherches, notamment des essais agronomiques sur la conduite de Cive ou l’épandage de digestat ».

« À l’échelle de la ferme, la modélisation a mis en évidence l’impact favorable sur le bilan énergétique et les émissions de gaz à effet de serre, sur l’utilisation d’engrais de synthèse et sur la pression phytosanitaire (avec un assolement optimisé). En revanche, les bilans nourriciers et la volatilisation ammoniacale sont impactés défavorablement. À noter : les modèles utilisés ne permettent pas de juger de l’impact environnemental du recours à l’irrigation. »

Un guide des bonnes pratiques

En s’appuyant sur les résultats de l’étude et après concertation avec les différents acteurs impliqués, AgroParisTech et Inrae ont également réalisé un guide de 24 pages, avec des préconisations de suivi et des recommandations d’usage. Ainsi retrouvez ci-dessous le récapitulatif proposé des principales bonnes pratiques mises en avant, concernant : 

  • La stratégie d’alimentation du méthaniseur :

– Diversifier la production de Cive (saison, espèces et exploitation opportuniste des couverts).

– Diversifier l’approvisionnement du méthaniseur en étudiant les gisements de coproduits agricoles, agro-industriels ou urbains.

– Mettre en place une instance régionale de suivi des ressources en biomasse mobilisables dans la région et des flux associés.

  • La conduite des Cive : 

Fertilisation : 

– Prendre en compte le contexte politique et sociétal et s’accorder sur les objectifs des Cive.

– Raisonner leur fertilisation et limiter le recours aux engrais de synthèse.

– Pour le raisonnement de la fertilisation minérale et organique éventuelle des Cive, utiliser la méthode du bilan.

– Mieux ajuster les apports de fertilisation par rapport aux rendements moyens à atteindre.

– Systématiser les analyses de reliquats azotés (post récolte, entrée & sortie d’hiver).

– Réaliser des analyses de digestat fréquentes. 

– Chercher à maximiser la place des légumineuses dans les rotations

Protection phytosanitaire : 

– Combiner les solutions de lutte (choix d’espèces, variétés, mélanges plus adaptés ; ajustement de la période d’ensilage des Cive d’hiver ; techniques de préparation du sol pour la Cive d’été).

Semis et récolte : 

– Bien prendre en compte la réduction de rendement de la culture suivante dans le raisonnement de la date de récolte de la Cive d’hiver. 

– En cas de teneurs en matière sèche trop faibles à la récolte, considérer le préfanage ou l’emploi d’agents d’ensilage.

Irrigation : 

– Bien réfléchir l’irrigation éventuelle des Cive d’été en fonction des objectifs qui lui sont assignés, ainsi que celle du maïs grain suivant une Cive d’hiver

  • La gestion du digestat de méthanisation : 

– Utiliser les digestats bruts et liquides comme fertilisants et les digestats solides comme amendement.

– Réaliser des analyses de digestat fréquentes et les plus proches possibles de la date d’épandage et adapter les apports et l’agroéquipement en conséquence.

– Pour une amélioration plus significative de la fertilité du sol sur l’ensemble des surfaces, y compris celles où le digestat n’est pas épandu ou bien où l’on ne cultive pas de Cive, on peut soit continuer à apporter de la matière organique exogène (type compost) ou bien soigner ses couverts autres que les Cive (Cipan, SIE) pour restituer la biomasse au sol.

– Privilégier des modes d’épandage du digestat qui permettent de réduire les émissions d’ammoniac et de maximiser l’efficacité de l’azote .

*Étude dans le cadre du Programme ministériel d’études 2020 de l’appel d’offre « Transition vers des systèmes de production durables : gestion durable du foncier agricole, contributions de l’agriculture à une agriculture bas carbone et à la gestion globale de la biomasse ».