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Femmes en agriculture

Quels blocages à lever pour une égalité réelle ?


TNC le 08/03/2022 à 18:20
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Si l'égalité entre les femmes et les hommes a progressé en agriculture, de nombreux blocages demeurent. (©Pixabay/TNC)

À l’occasion de la journée des droits des femmes, l’Association française des journalistes agricoles a organisé une table-ronde sur les femmes en agriculture. Si des avancées incontestables sont à noter sur le plan de l’égalité hommes-femmes dans le secteur agricole, il reste du chemin à parcourir et des blocages à lever, en lien avec les représentations sociales, ou encore le fonctionnement des organisations agricoles.

Très présentes dans les travaux agricoles jusqu’au XIX ème siècle, les femmes ont progressivement été écartées des champs avec la révolution industrielle et l’avènement des machines, réservant ce domaine aux hommes qui auparavant s’occupaient des chevaux, rappelle Nadine Vivier, présidente honoraire de l’Académie d’agriculture. Néanmoins, la situation a évolué depuis la fin de la seconde guerre mondiale. A l’occasion de la journée des droits des femmes, l’Association française des journalistes agricoles (Afja) est revenue sur les avancées concernant la place des femmes en agriculture, et sur les défis qu’il reste à relever en la matière.

Du point de vue du droit, un certain nombre d’avancées sont en effet à souligner depuis les dernières décennies : création du statut de co-exploitant en 1980, de conjoint collaborateur en 1999, introduction du Gaec entre époux en 2010 puis transparence des Gaec en 2015, limitation du statut de conjoint collaborateur à cinq ans dans la loi Chassaigne 2 de 2021… En parallèle, les retraites des femmes ont été revalorisées en 2014, tout comme celles des conjoints collaborateurs (principalement des femmes) et aides familiaux en 2021. Des progrès ont également été faits sur le congé maternité, désormais fixé à 8 semaines, et sur la prise en charge (totale), avec des indemnités journalières faute de remplacement.

Dans les organisations, une féminisation qui reste lente

Comme le montre le travail de Clémentine Comer, sociologue (Inrae), autrice d’une thèse sur les femmes insérées dans les organisations agricoles en Bretagne, depuis les années 1990, globalement, la féminisation des organisations agricoles est manifeste, « mais elle reste lente », explique la chercheuse.

En effet, dans le détail, « la prise de mandat des femmes est plus versatile », et si l’on regarde organisation par organisation, la féminisation est très discontinue. « On constate des formes d’épuisement militant, des désengagements plus rapides », explique Clémentine Comer. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. D’une part, ce sont souvent les mêmes élues qui siègent dans une multitude d’organisations, de façon plus prononcée que les hommes, « ce qui participe à l’épuisement professionnel militant », précise la sociologue.

Plafond et paroi de verre

Les femmes sont d’autre part soumises à « un plafond et à une paroi de verre », précise Clémentine Comer : elles sont surreprésentées dans les premiers échelons de l’engagement, et sont de moins en moins présentes dans les échelons plus élevés. Il y a, par ailleurs, une dimension sexuée horizontale (la paroi de verre) : les femmes sont ainsi davantage représentées dans les mandats jugés moins prestigieux (mandats sociaux, territoriaux, les filières de niche…). « Et même lorsqu’elles ont des mandats à des échelons plus importants, on retrouve cette composition classique », ajoute la sociologue. Les élues sont davantage en charge de la communication, des relations humaines, « pas dans le technique ou la politique », précise Clémentine Comer.

Le produit de différents facteurs sociaux

« Tout cela est le produit de différents facteurs sociaux », poursuit-elle, facteurs qui n’ont pas uniquement trait au monde agricole : « cette position dominée des femmes dans la représentation agricole est liée à cette position dominée dans d’autres espaces sociaux, au travail, en famille ». Il est également « moins socialement autorisé des hommes qu’ils contraignent leur emploi du temps pour se dédier aux tâches familiales », ajoute-t-elle. C’est également lié au fonctionnement des organisations en elles-mêmes, avec un système d’avancement qui passe par l’obligation implicite de se rendre très disponible, et d’accepter un cumul des responsabilités, l’engagement devenant très vite chronophage. La progression hiérarchique opère ensuite par une logique d’interconnaissance et de cooptation qui nécessite de se rendre visible dans les sphères informelles, hors réunion, auxquelles les femmes participent moins, ajoute Clémentine Comer.

Néanmoins, agriculteur est « le métier où les tâches ménagères et parentales sont le moins bien partagées », explique Françoise Liebert, haut fonctionnaire au ministère de l’égalité hommes-femmes, qui constate également un partage très genré des tâches sur l’exploitation. Malgré l’évolution des droits, « ce n’est pas pour autant que les faits suivent » en matière d’égalité, indique-t-elle. Ainsi, d’après le recensement agricole de 2020, un quart de chefs d’exploitation sont des femmes, un chiffre qui a un peu baissé au cours de la dernière décennie « et qui ne décolle pas », précise la représentante du ministère. « Notre travail est donc de repérer quels sont les leviers qui vont débloquer la situation, pour que cette égalité des droits puisse se concrétiser par une égalité réelle », ajoute-t-elle. Il y a donc, de toute évidence, encore du pain sur la planche.