Nouveaux installés : peut-on encore parler de « non issus du milieu agricole » ?


TNC le 10/07/2025 à 07:45
peut-on-encore-parler-de-nima

Les Nima ne sont plus seulement des néoruraux qui retournent à la terre. (© Pixabay)

Du monde agricole ou Nima : après l’étude Agrinovo, un deuxième projet de recherche, Renouvagri, montre que la réalité est aujourd’hui plus complexe que ne le laisse penser cette classification existant maintenant depuis plusieurs années. Et si elle était devenue obsolète ?

Comme le projet Agrinovo, le programme de recherche Renouvagri, piloté par le Centre d’économie et de sociologie appliquée à l’agriculture et aux espaces ruraux (CECAER, Inrae Bourgogne-Franche-Comté), vise à savoir qui sont les jeunes agriculteurs aujourd’hui, et à mieux appréhender leur profil et leur trajectoire avant et pour arriver à ce métier, qui sont en pleine évolution.

Il se focalise, lui, sur les non-issus du monde agricole et le département de la Nièvre, où ces installations sont nombreuses et le taux de renouvellement en agriculture parmi les plus bas (30 à 50 % selon les productions). Il analyse, en particulier, les systèmes d’exploitation qu’ils mettent en œuvre, et les relations qu’ils créent au sein du groupe professionnel et du milieu social local. 41 jeunes installé(e) Nima ont été interrogés mais de par leur origine sociale, leur parcours, leur âge, etc., ils sont représentatifs de la diversité de ce public. L’étude a permis de les classer en quatre grandes catégories : les personnes « en déclassement », « en situation d’exit professionnel », « en mobilité ascendante », « ayant connu une socialisation précoce au travail agricole ».

Déclassement social

24 % des enquêtés sont concernés. Trentenaires ou quarantenaires (32 à 44 ans), ils proviennent principalement de classes moyennes et supérieures, et occupent des professions intermédiaires. Et sont « les plus éloignés du monde agricole, aucun d’eux n’ayant de liens familiaux, même distants », avec ce dernier. Même si « leur famille valorise l’investissement scolaire, ils ont eu une insertion professionnelle difficile. 60 % ont eu un parcours scolaire chaotique (redoublements, réorientations, abandons d’études) avant l’obtention du bac ou d’une licence ».

Même chose au début de leur carrière professionnelle : ils ont commencé par plusieurs emplois non en rapport avec leurs souhaits initiaux, avec des périodes de chômage. 40 % ont obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur et ont débuté une vie active conforme à leur projet de départ, mais leur statut précaire et leurs faibles revenus les ont obligés à « accepter, parallèlement, des emplois alimentaires ne correspondant pas à leurs diplômes ».

Aucun lien avec l’agriculture.

D’où « un déclassement comparé à la situation sociale familiale, assorti d’une frustration par rapport à leurs aspirations initiales ». La reconversion vers l’agriculture représente donc une « voie de reclassement » devenue envisageable suite à des expériences au contact de l’agriculture (travail saisonnier, woofing, etc.). D’autant que les bénéfices environnementaux et l’utilité du métier d’agriculteur peuvent réduire l’écart entre leurs attentes sociales et leur situation professionnelle réelle. Signalons que 60 % des individus se sont engagés au préalable dans des « groupes militants, des organisations humanitaires ou des habitats collectifs développant une vie communautaire autonome ». En cela, ces Nima ressemblent aux néoruraux des années 70.

Exit professionnel

Les origines sociales de cette catégorie, qui rassemble 34 % de l’échantillon, sont plus disparates, avec une prépondérance des classes supérieures (2/3). « Leur scolarité, « plus linéaire », débouche sur un diplôme de l’enseignement supérieur (BTS, master, ingénieur agricole ou agronome, école de commerce et de sciences politiques) puis des fonctions d’encadrement dans le public ou le privé leur permettant de dégager des bons revenus (salaire net > 2 880 €). Ces personnes sont, en revanche, plus proches du monde agricole : 43 % ont un parent ou grand-parent agriculteur, sont ingénieurs agronomes ou travaillent dans ce secteur d’activité.

Une véritable bifurcation.

« Leur reconversion professionnelle ne relève cependant pas de la réactivation d’une vocation agricole contrariée puisque rien n’indique qu’elles aient souhaité devenir agriculteur à un moment antérieur de leur vie. On est en présence de véritables « bifurcations » qui se distinguent des « retours à la terre » des années 70 car elles ne s’inscrivent pas dans le prolongement d’un processus d’engagement militant et contestataire. » « Elles constituent plutôt l’aboutissement d’un processus d’exit professionnel, motivé par un désenchantement et l’érosion de leurs convictions dans le métier précédent », découlant elles-mêmes « d’un décalage entre les croyances intériorisées et les conditions pratiques d’exercice du métier ».

Elles ont, entre autres, « de fortes préoccupations environnementales » qui ont conditionné le choix de leur ex-profession mais elles ont été déçues de l’impact limité de leur travail dans ce domaine. L’agriculture leur permettrait d’être davantage en accord avec ce qu’elles veulent défendre. « « L’exit professionnel » est parfois également motivé par « des conditions de travail contraignantes (stress, horaires, déplacements…), le métier d’agriculteur favorisant selon elles l’équilibre entre la vie professionnelle et familiale. Mais leur reconversion implique une migration importante dans l’espace social et une diminution substantielle des revenus. Pour 36 %, l’installation a été d’ailleurs facilitée grâce au conjoint qui gagne bien sa vie. À noter : leur âge varie de 28 jusqu’à 52 ans.

Mobilité sociale ascendante

Ici (17 % des participants de l’étude), « l’installation agricole entraîne une mobilité sociale de moindre ampleur », du fait de l’origine sociale (parents ouvriers) et géographique (rurale, ayant eux-mêmes ou leurs conjoints passés leur jeunesse dans la Nièvre), et d’une certaine proximité vis-à-vis des exploitants (membres de leur famille, amis, voisins), n’ayant pas pour autant suscité de vocation précoce. Pendant leurs études, ils se sont dirigés vers des filières professionnelles avec, à la clé, un diplôme de niveau égal ou inférieur au bac puis un emploi dans des domaines non agricoles (ouvriers, employés), pendant 6 à 22 ans.

S’affranchir des contraintes du métier précédent.

Ce sont « davantage les contraintes (pénibilité, horaires, subordination hiérarchique, bas salaires) de leurs emplois antérieurs que l’attrait pour l’activité agricole » qui les ont incités à s’installer en agriculture. Cette reconversion leur apporte de l’autonomie décisionnelle et organisationnelle, et un meilleur équilibre vie pro/perso. « Si leurs « objectifs » sont similaires à ceux du groupe précédent, les « implications pratiques et symboliques » divergent : pour les premiers, devenir agriculteur équivaut à « un certain déclassement social et économique » tandis que, pour les seconds, il s’agit plutôt « d’une mobilité ascendante ».

Vocation agricole précoce

Cette classe réunit 24 % des personnes ayant participé à l’enquête. De diverses origines sociales et géographiques, ils ont grandi en zone rurale ou urbaine. Les uns ayant durant leur enfance côtoyé des exploitants (proches, voisins, parents de camarades d’école…), les autres lors de leurs vacances à la campagne. Depuis qu’ils sont enfants ou adolescents, ils aimeraient être agriculteurs mais ont conscience des freins existants, l’accès au foncier et le coût des reprises d’exploitation entre autres.

Dès la formation initiale, ils se sont donc orientés vers l’enseignement agricole : 9 sont titulaires d’un bac agricole et 7 d’un BTSA. 80 % d’entre eux ont travaillé dans des fermes pendant leur temps libre, gratuitement ou non, et 80 % ont été salarié agricole et/ou conseiller technique, commercial, formateur dans ce secteur d’activité, mais pas très longtemps en général. Ainsi, « leur vocation agricole ne remonte pas nécessairement à leur plus jeune âge, mais elle s’est construite progressivement au fil d’expériences ludiques, scolaires et professionnelles ». À la différence des autres publics, « leur installation n’est pas une reconversion mais la concrétisation d’un projet préexistant ». Et ils sont plus jeunes : 21 à 33 ans.

Quels effets sur les modes de production ?

Au-delà des parcours d’installation (ressources initiales, difficultés rencontrées…) et des conceptions de l’agriculture, « des divergences notables » ont été identifiées dans « les choix d’orientation technique » entre ces quatre profils de jeunes agriculteurs. Ceux ayant une « vocation précoce » pour l’agriculture ont plutôt choisi de s’installer en élevage de ruminants (70 % en bovins viande), ceux en « mobilité ascendante » en aviculture et ceux en « exit professionnel » en maraîchage, ceux en « déclassement social » ayant opté pour des productions atypiques telles que les plantes à parfum, aromatiques et médicinales, les petits fruits, la pépinière…

Sachant que 90 % de l’échantillon s’écartent plus ou moins fortement des modèles qui dominent localement. Un peu plus de 80 % des personnes en « exit professionnel » et « déclassement social » se sont tournées vers le bio (70 % pour l’ensemble des répondants), les autres majoritairement vers des systèmes conventionnels.

Et sur l’insertion professionnelle ?

Assez logiquement, les individus avec « une vocation précoce » pour le métier d’agriculteur s’intègrent plutôt aisément, « leur vision de l’agriculture étant proche de celle des exploitants héritiers et leurs modes de productions s’inscrivant généralement dans la continuité des modèles dominants à l’échelle locale ». Ce qui simplifie l’entraide, la réalisation de chantiers en commun et l’achat groupé de matériels. Ces nouveaux installés en agriculture adhèrent d’ailleurs à des organismes professionnels (Cuma, syndicats, etc.) où ils ont parfois élus.

L’intégration est plus complexe pour ceux ayant connu des trajectoires de « déclassement social » ou « exit professionnel », car « ils conçoivent l’agriculture comme une activité dont la finalité n’est pas uniquement de produire, mais aussi de préserver l’environnement et la biodiversité ». Des points qui peuvent être à l’origine de tensions avec les agriculteurs héritiers, surtout lorsqu’ils cherchent à faire évoluer leurs pratiques, par exemple sur l’utilisation des produits phytosanitaires, l’entretien des haies, la chasse… Et cela conduit à n’échanger qu’avec « des collègues partageant les mêmes valeurs et visions ».

Quel devenir sur le long terme ?

Ces résultats confirment ceux du projet Agrinivo : les Nima ne sont pas que des néoruraux qui retournent à la terre, leurs profils, parcours et situations sont bien plus diversifiés et « impactent directement les conditions d’installation ». Tous ne sont pas aussi bien « armés » pour réussir ce parcours du combattant, puisqu’il est souvent vécu comme tel même par les enfants d’agriculteurs, et concrétiser leur projet. Si les publics avec « une vocation précoce » ont les compétences techniques manquant aux autres, les groupes en « déclassement social » et « exit professionnel » disposent, eux, d’un capital culturel et économique, celui en « mobilité ascendante » d’un ancrage local fort.

Quel devenir sur le long terme de ces jeunes agriculteurs, en fonction de la typologie ainsi établie ? Cette question mérite d’étudiée, de même que pour l’étude Agrinovo, même si les « vocations précoces » et les « mobilités ascendantes » amèneraient à rester exploitant jusqu’à la retraite et à vouloir transmettre la ferme aux héritiers, contrairement au « déclassement social » et à « l’exit professionnel » qui n’écartent pas la possibilité de se reconvertir à nouveau.

Source : séminaire de présentation de cinq recherches sur les nouveaux actifs agricoles (portraits socio-démographiques, trajectoires, insertions), organisé le 10 juin par le Centre d’études et de prospective (CEP) du ministère de l’agriculture.