Mesurer l’usage des produits phytos : la jungle des indicateurs
AFP le 09/02/2024 à 14:07
IFT, QSA, Nodu... de nombreux indicateurs sont utilisés pour mesurer l'usage des produits phytosanitaires en France : ils sont au cœur de la bataille d'une révision du plan Ecophyto 2030, mis « sur pause » par le gouvernement pour calmer la colère agricole.
Ce plan, qui vise une réduction de moitié de l’utilisation des produits phytosanitaires d’ici 2030 (par rapport à 2015-2017), a été suspendu par Gabriel Attal « le temps de mettre en place un nouvel indicateur » qui remplacerait le Nodu, principal outil de mesure français.
Le Nodu est contesté par le syndicat agricole majoritaire FNSEA et l’industrie des produits phytos, qui affirment qu’il ne prend pas en compte les efforts des agriculteurs, et défendu par les ONG environnementales, qui estiment qu’il est le plus juste pour évaluer la baisse d’usage des produits phytos.
L’IFT et la QSA : le déclaratif et les volumes
L’indice de fréquence de traitement (IFT) est un ratio qui indique si les doses appliquées par hectare sur un an sont supérieures ou non aux doses maximales homologuées. Il est calculé sur la base des déclarations de l’exploitant, censé renseigner les cultures concernées (blé, vigne, betterave…) et les cibles (insectes, champignons, mauvaises herbes).
« L’IFT mesure la fréquence d’utilisation d’un produit », mais si l’exploitant ne renseigne pas la culture et la cible du produit phyto, « ce qui est extrêmement fréquent », le calcul est basé par défaut sur la dose minimale, explique Corentin Barbu, chercheur à l’Inrae et coauteur d’un rapport de 2020 analysant les variations de vente des produits phytosanitaires.
La quantité de substances actives (QSA) exprime le volume annuellement vendu, en tonnes, selon les données de la banque nationale des ventes des distributeurs de produits phytopharmaceutiques (BNV-D).
C’est grâce à cet indicateur que le gouvernement a annoncé en juillet la « stabilité » de la vente des pesticides en France, avec 43 000 tonnes de substances actives en 2022 (+ 0,7 % sur un an), hors produits utilisables en agriculture biologique et de biocontrôle.
S’il facilite les comparaisons avec les pays voisins – avec 3,4 kg par hectare, la France est ainsi dans la moyenne européenne (3,3) – il additionne des choses qui ont des efficacités très différentes pour un poids égal: « les insecticides pèsent typiquement beaucoup moins (lourd) que les herbicides », explique le chercheur Corentin Barbu.
Le Nodu ou « nombre de doses unités »
Indicateur de référence du plan Ecophyto, le Nodu s’exprime en hectares. Fondé sur les données des ventes, le Nodu divise les quantités de substances actives vendues (en kg) par leurs doses de référence (« dose unité » propre à chaque substance active, en kg par hectare). Cette technique permet d’avoir dans un seul indicateur la somme de substances actives employées à des doses très différentes, explique un récent rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur les causes de l’incapacité de la France à réduire l’usage des pesticides.
Le Nodu « évalue notre dépendance aux produits phytos, en évitant les biais liés aux grandes différences de doses homologuées entre molécules », explique encore l’Inrae sur son site.
Pour le chercheur Corentin Barbu, le Nodu est l’indicateur « le plus pertinent » : « il permet de prendre en compte à la fois la quantité de substances actives et la dose à laquelle elles sont efficaces, ce qui revient à définir leur degré de toxicité ».
La France est passée d’un Nodu de 82 millions d’hectares en 2009 à 120,3 en 2018 avant de revenir à 85,7 en 2021. L’objectif d’Ecophyto était de le ramener à environ 50 en 2030.
A la tête des céréaliers, Eric Thirouin qualifie le Nodu de « machine à baffes » : « à partir du moment où on remplace un produit efficace, mais considéré comme nocif, par un produit moins efficace, on est obligé de le passer plus souvent dans les champs. Calculer le nombre de doses utilisées, c’est fausser le résultat. » Le gouvernement estime aussi que le Nodu ne reflète pas la baisse « de 96 % en dix ans » des produits phytos les plus dangereux (CMR-1) et voudrait substituer à ce « petit indicateur français » un indice européen.
L’indicateur européen HRI1
C’est « l’indicateur de risque harmonisé » proposé par la Commission européenne : il multiplie les volumes de substances actives vendues par des « coefficients » censés refléter la dangerosité des divers pesticides, classés en quatre catégories.
Le lobby des produits phytos salue l’effort de cet indicateur pour « prendre en compte la dangerosité plutôt que le volume ».
Le HRI1 est en revanche dénoncé comme « totalement trompeur » par Générations Futures, qui juge que « les coefficients de dangerosité sont trop faibles » et que la classification choisie a pour conséquence de « pénaliser l’agriculture bio ».
L’ONG, qui a testé le HR1, affirme par exemple qu’il mesure « le même risque pour un kilogramme d’agent neurotoxique, comme l’insecticide hautement toxique pour les abeilles deltaméthrine, que pour un kilogramme de sable quartzeux », utilisé en bio pour éloigner le gibier des cultures.
Mais classé dans la même catégorie que des produits phytos plus légers et efficaces à moindre dose, le sable, plus lourd, est pénalisé par le coefficient amplificateur du HRI1, selon l’ONG.