Loi Duplomb : le pansement est-il assez grand pour soigner la colère agricole ?


TNC le 16/05/2025 à 14:44
Manifagricoles

La FNSEA et les JA appellent à la mobilisation des agriculteurs après la suppression de l'article 5 de la loi Duplomb, suite à sa lecture en Commission. (© TNC)

À quelques jours de son examen par les parlementaires, le texte divise. Bien que porté par un ancien membre de la FNSEA, le syndicat majoritaire déplore un « détricotage » du projet de loi par les différentes Commissions. En parallèle, la CR appelle à quelque chose de plus « ambitieux » et la Confédération paysanne estime que le texte ne répond pas aux véritables enjeux de l’agriculture française.

Ballotée par les remaniements, la loi censée apaiser la colère agricole fera son entrée au parlement le 26 mai, après une adoption par le Sénat en janvier. Mais le texte aidera-t-il vraiment les agriculteurs ? Pour certains, le pansement n’est pas sur la plaie.

Jeudi 15 mai, Arnaud Rousseau a appelé à de nouvelles mobilisations. Pour le président de la FNSEA, « la parole n’est pas tenue ». En cause, des modifications du texte lors de son passage devant la Commission « développement durable », avec la suppression d’un article censé faciliter le stockage d’eau, ou encore l’agrandissement des élevages. De son côté, la Coordination rurale demande « un texte plus ambitieux » et estime que « plusieurs lignes rouges ont été franchies ». Enfin, la Confédération paysanne considère qu’il est « faux de dire que cette proposition de loi répond aux attentes du monde agricole ».

Le ras-le-bol administratif en tête des revendications

François Pureseigle, professeur en sociologie à AgroToulouse, propose de revenir aux fondamentaux en analysant les revendications des manifestants, formulées il y a un peu plus d’un an sur les barrages. À l’occasion d’une cession de l’académie d’agriculture, il rappelle que c’est le « ras-le-bol des normes et de l’administratif » qui a poussé 49 % des agriculteurs à sortir dans la rue. 37 % des verbatims faisaient ensuite allusion à un sentiment « d’abandon », avec un « système à bout ». Seuls 12 % des extraits d’entretien font écho à la question du revenu. Or, c’est peut-être la « seule bannière derrière laquelle tous les syndicats auraient pu se retrouver ».

« Les observateurs qui montaient à la tribune en expliquant que les manifestations témoignaient d’un problème de revenu n’ont pas compris le mouvement. C’est plutôt l’incapacité des pouvoirs publics à gérer une pandémie dans le sud-ouest – la MHE – qui a catalysé la colère », insiste l’expert. Le reste de la France a ensuite gonflé les rangs des manifestants. « Le nord a rallié le mouvement, malgré des niveaux de revenu élevés. On retrouve alors des agriculteurs bien dotés, mais qui ont de plus en plus de mal à gérer les incertitudes du métier ». D’où le projet de loi visant à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ».

Les agriculteurs sont fragmentés idéologiquement.

Mais le sociologue alerte, « les agriculteurs sont fragmentés idéologiquement ». Pour lui, trois grands pôles se dessinent. Les libéraux, pro-européens, regroupent à peu près les deux tiers de la profession. Cette catégorie rassemble également les revenus les plus élevés. « On est sur des agriculteurs qui demandent à être à armes égales par rapport à leurs concurrents, pour construire par eux-mêmes leur revenu grâce au marché », résume François Pureseigle.

Un pôle « conservateur agrariens », caractérisé également par un revenu un peu plus faible et un fort attachement au territoire, se développe. « On le voit avec les résultats aux élections des chambre d’agriculture », commente le sociologue, que ce soit par la progression de l’abstention ou de la Coordination rurale. Cette catégorie représente à peu près 20 % des agriculteurs. « On est sur une jeunesse qui a des niveaux de revenus relativement faibles et qui a largement contribué aux premiers barrages. » Pour eux, le cœur des revendications est de « continuer à exister ».

Vient ensuite un pôle qui se distingue davantage, plutôt orienté autour de l’écologie et de l’altermondialisme. « Dans ce cas, on pourrait parler de paysans à la sobriété heureuse. On est sur des agriculteurs avec un niveau de revenu faible, mais assumé. » Ces agriculteurs mettent en avant la nécessite de bénéficier d’un soutien par le revenu pour pouvoir continuer à changer le système. Si ces deux derniers pôles auraient pu se retrouver sur la catégorie de la rémunération, « cette colère agricole donne à voir l’incapacité de ces publics agricoles à se parler eux-mêmes », commente François Pureseigle.

Ces fractures identitaires profondes au sein de la profession font que la loi Duplomb ne pourra pas contenter tout le monde. Les points de désaccord entre syndicats ne se limitent pas à des problématiques techniques, et font état de différentes visions du métier d’agriculteur, même si le « ras-le-bol administratif » apparaît comme l’élément le plus fédérateur. Au mieux, la loi Duplomb répondra à une colère agricole, à défaut d’atténuer toutes les colères de la profession.