Loi Duplomb : la pétition ravive le débat
TNC le 21/07/2025 à 18:19
La pétition contre la loi Duplomb a largement franchi la barre du million de signatures sur le site de l'Assemblée nationale, exaltant les dissensions entre ses défenseurs et ses opposants, et élargissant le débat à l'ensemble de la société.
En un peu plus d’une semaine, une pétition déposée par une étudiante sur le site de l’Assemblée nationale et demandant l’abrogation de la loi Duplomb a recueilli plus d’un million de signatures. Un chiffre largement au-dessus du seuil requis des 500 000 pour obtenir un débat en séance sur le sujet, si la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale, qui fixe l’agenda, en décide ainsi mi-septembre lors de la rentrée parlementaire.
La présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet (Renaissance), s’y est dite « favorable » mais ce débat ne permettra pas un réexamen de la loi sur le fond car il faudrait un autre texte législatif. La gauche et les écologistes ont toutefois promis lundi de maintenir la pression à l’automne autour de ce texte agricole décrié pour son impact environnemental.
Un débat pourrait « au moins mettre en évidence les positionnements des députés » sur leur vote, a affirmé à l’AFP Émilie Deligny, secrétaire générale de la Confédération paysanne, en soulignant « l’enjeu de santé publique ».
L’organisation Fermes d’Avenir estime également « que cette loi ne résout en rien la crise agricole actuelle et empêche la transition agroécologique que nous défendons ».
« Éviter la concurrence déloyale »
Parmi les mesures phares de la loi, figure notamment la réintroduction prévue de l’acétamipride et de la flupyradifurone, réclamée entre autres par les producteurs de betteraves et de noisettes, aujourd’hui sans alternative efficace.
« L’agriculture française disparaîtra si on lui impose des normes supérieures à celles de ses voisins européens », soutient Arnaud Rousseau, président de la FNSEA. « Son homologue de la Coordination rurale, Véronique Le Floc’h, suggère « si les gens ne veulent pas » du pesticide, « d’interdire toutes les importations qui auraient eu recours à ce produit ».
Agriculteur dans les Hauts-de-France, Philippe Parmentier a, de son côté, lancé une nouvelle pétition en faveur de la loi Duplomb.
Bonjour les #twittos,
Toujours petite nuit
Est-ce les signataires de la #pétition contre la PPL #Duplomb qui lanceront une autre pétition pour que nos "grosses" coopératives ne ferment pas de sucreries dans les années à venir ?@BenoitBiteau@TrouveAurelie@sandrousseau 🪴😤 pic.twitter.com/awG3pTUqoC— GUYOT Vincent (@GuyotVincent02) July 20, 2025
« C’est un paradoxe de plus : la France n’aime pas son agriculture alors qu’elle aime ses agriculteurs », estime Jean-Marc Jancovici, président du Shift project et membre du Haut Conseil pour le climat, dans un post publié sur le réseau LinkedIn.
« Souligner que notre agriculture doit changer, l’auteure de la pétition contre la loi Duplomb n’est pas la seule à le penser. Comme l’avait montré la grande consultation des agriculteurs menée par le Shift Project, une large partie des agriculteurs en a envie. 86 % des 8 000 répondants considéraient que le changement climatique est un risque, les deux tiers que la diminution de l’efficacité des produits phytosanitaires en est un aussi, et plus de 70 % considéraient que les phytosanitaires présentent un risque pour eux-mêmes, l’environnement ou la santé humaine en général. »
« Question, alors : qu’attendons-nous pour changer ? »
« La réponse tient malheureusement en 6 lettres : argent. Dans cette même consultation, il apparaissait de manière très nette que ce qui « bloque » les agriculteurs n’est pas l’indifférence aux nuisances des produits phytosanitaires, mais la crainte de ne plus pouvoir vivre de leur travail s’ils se mettent en conformité avec les aspirations de la société, que bon nombre d’entre eux comprend par ailleurs. »
« Dans la même consultation, on peut apprendre que 90 % des agriculteurs se sentent mal représentés dans le débat public, et 60 % espèrent peu de choses de leurs syndicats. Une pétition peut-elle modifier la donne ? Elle peut bien sûr conduire à modifier la loi « sous la pression populaire », et l’interdiction d’un néonicotinoïde est assurément bonne à prendre. »
« Mais le problème de fond demeure : comment faire en sorte que les agriculteurs gagnent correctement leur vie quand ils produisent ce que demande la société, et dans les conditions que demande la société, sans se mettre à risque vis-à-vis d’une concurrence internationale qui ne serait pas soumise aux mêmes exigences ? »
« Une utilisation de la molécule très encadrée »
Notre consœur du Point, Géraldine Woessner, rappelle également que « la loi ne prévoit pas une réintroduction pure et simple de l’acétamipride. L’utilisation de la molécule restera extrêmement encadrée. Son autorisation ne pourra être accordée que par décret, à titre dérogatoire et exceptionnel pour une durée limitée et sous conditions strictes : la filière devra être en situation de crise avérée et s’engager dans un plan de recherche d’alternatives. »
Toujours sur le métier remettre son ouvrage…
Lutter contre la désinformation, plus que jamais, est un sacerdoce.
"Acétamipride : que dit vraiment la science ?"
EN ACCÈS LIBRE ! ��
https://t.co/ZhIvpI7Zbt via @LePoint— Géraldine Woessner (@GeWoessner) July 21, 2025
Pour Anne-Cécile Suzanne, « il faudrait que l’écologie intègre le marché, parce que nous sommes, précisément, dans une économie de marché. Il est insupportable de devoir choisir entre deux caricatures médiatiques que sont les formules de Sandrine Rousseau et la loi du sénateur Duplomb. L’énorme espace entre les deux, c’est une agriculture diversifiée, qui fait de son mieux au milieu des injonctions contradictoires, des contraintes naturelles bien présentes et une nécessité de boucler les fins de mois dans une réalité économique implacable, qui comptabilise l’écologie comme une charge », explique l’agricultrice en polyculture-élevage de l’Orne, également consultante Kea & Partners, dans une tribune publiée sur le site du Figaro.
« Intégrer l’écologie à l’économie de marché, cela veut dire aussi payer à l’agriculteur le vrai prix des produits. Si l’environnement est respecté, alors le prix doit le refléter. Ce n’est pas qu’un problème de portefeuille consommateur ici, c’est aussi un sujet de millions dépensés pour la protection des nappes phréatiques, des rivières, de la biodiversité, de la santé. Payer à la source ou payer les conséquences en fois mille, la réponse devrait être vite trouvée. »
« Il aurait été intéressant de voir si le nombre de signataires de la pétition aurait été le même si ce texte avait aussi mentionné que toute personne soutenant l’initiative était aussi prête à accepter le surcoût (modeste) de l’alimentation qui ira avec le fait de « cultiver ou élever suffisamment propre » », ajoute Jean-Marc Jancovici.
Hier au supermarché, le rayon œuf était vide (c'est bon et pas cher), à part les œufs bio dont certains allaient être jetés pour cause de péremption
Alors quand je vois ce million de signatures pour une alimentation sans chimie, je sais que l'hypocrisie a bel avenir#LoiDuplomb
— Antoine Thibault (@AgriSkippy) July 20, 2025
« Rappelons que seuls 7 % de notre ticket de caisse au supermarché va chez les agriculteurs, et que le revenu par exploitant a été divisé par deux en 30 ans. Les agriculteurs ne sont pas fous. Si, en préservant le capital naturel, ils sont mieux payés qu’en érodant la biodiversité, pourquoi voulez-vous qu’ils ne le fassent pas ? Espérons donc que cette « vague populaire » aille aussi avec une « vague de modifications dans le bon sens des actes d’achat ». Ça aiderait beaucoup. »