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En élevage bovin lait

L’herbe, un remède à la perte d’emplois


TNC le 18/10/2021 à 10:26
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Les exploitations herbageres embauchent 6,25 % d'ETP en plus, selon l'etude Actif'Agri. (©TNC)

En quatre ans, les exploitations bovines laitières ont perdu 15 000 éleveurs et 13 500 emplois, une érosion plus forte que dans les autres filières agricoles. À l'inverse, le nombre de salariés a légèrement progressé, surtout dans les zones où la production a le plus augmenté, mais peu sont embauchés à plein temps. Le lait reste cependant la production la plus pourvoyeuse d'emplois en agriculture, en particulier lorsqu'elle est basée sur l'herbe.

Ces dernières années, avant même l’arrêt des quotas laitiers et malgré la gestion assez administrée des volumes et des prix qui perdure, l’élevage bovin laitier a connu de profonds changements, avec des concentrations et restructurations encore plus importantes et rapides que dans les autres secteurs agricoles.

Concentration géographique d’une part, puisque la production a beaucoup augmenté entre 2008 et 2014 dans le croissant laitier, autrement dit dans l’ouest et l’est de la France en passant par le nord et le Massif central, là où elle était déjà la plus importante, alors que la déprise s’accentuait dans les zones de polyculture-élevage. Concentration du cheptel et des volumes de lait/exploitation d’autre part : entre 2005 et 2018, les troupeaux de plus de 75 VL ont fortement progressé, représentant 15 puis 50 % des fermes.

Une perte d’emplois forte et rapide

D’où une perte nette d’emplois directs, encore plus marquée et s’opérant bien plus rapidement que dans le reste des filières agricoles, pointe l’étude Actif’Agri conduite par le Centre d’étude et de prospective du ministère de l’agriculture. Structurée en 12 chapitres, elle propose une analyse globale et pluridisciplinaire (économique, sociologique, agronomique, politique, juridique, etc.) de l’emploi en agriculture, et s’intéresse notamment aux conditions de travail, à la formation, aux mobilités professionnelles, à l’innovation, l’environnement… 

Il s’agit surtout de « départs d’éleveurs à la retraite et non remplacés, et de cessations d’activité laitière », précise Jean-Noël Depeyrot, chargé de mission au service « régulation économique et marchés ». Cette diminution d’actifs en production laitière est étroitement « liée à la hausse de la productivité volumique :  la référence laitière/ETP a grimpé de 13 % en quatre ans au niveau national. Mais la filière demeure la plus pourvoyeuse d’emplois non salariés en agriculture », poursuit-il. L’érosion des emplois est plus prégnante dans les zones de polyculture-élevage en nette déprise laitière.

+ 3 600 ETP salariés en 4 ans

Autre évolution notable : le développement du salariat en bovins lait (+ 3 600 équivalent temps plein ou ETP entre 2010 et 2014), même s’il ne compte que pour 13,6 % de la main-d’œuvre totale en 2014 (11,5 % en 2010) et reste peu répandu, légèrement moins qu’en cultures : 26,8 % des actifs contre 29 %.

« Cette progression, même mesurée, a permis l’agrandissement des exploitations laitières et c’est dans celles où l’augmentation de la production a été la plus forte et rapide, donc dans lesgrands bassins laitiers, que des salariés spécialisés ont été embauchés (+ 5 000 ETP, bien supérieur à la hausse nationale), à temps partiel principalement et sur plusieurs fermes (salariat partagé). Ce qui amène à repenser l’organisation du travail et la formation », détaille Jean-Noël Depeyrot. À noter : la main-d’œuvre familiale non exploitante est anecdotique.

Mais seulement 13,6 % de la main-d’œuvre totale (des cumuls de temps partiels surtout).

En transformation : des fermes 2 x plus petites à main-d’œuvre au moins égale

Au-delà de ces deux tendances − diminution globale des actifs et hausse du salariat −, la démarche Actif’Agri a voulu étudier l’influence de différents facteurs permettant de prendre en compte la diversité des exploitations laitières : la localisation (zone de montagne ou de plaine notamment), la taille des exploitations (pour évaluer les économies d’échelle dont on parle si souvent), le système de production (herbager ou avec maïs ensilage), la part de maïs dans les surfaces fourragères, la présence de transformation/vente directe, la production en agriculture biologique ou sous autres signes officiels de qualité, la présence d’autres ateliers (pour mieux cibler le travail consacré à atelier lait et aux surfaces fourragères dédiées). « L’objectif : savoir ce qui détermine la quantité d’emplois dans les fermes», appuie le chargé de mission.

Concernant le type d’activité (production laitière seulement, avec transformation et/ou vente directe), « intuitivement, on sait que transformer et/ou vendre à la ferme requiert plus de travail et génère plus d’emplois », reconnaît-il. Un chiffre intéressant : ces structures, deux fois plus petites en volume de lait produit (180 000 l/an vs 280 000 l), emploient une main-d’œuvre au moins équivalente (2 ETP) voire supérieure. « À volume de lait identique, il y a donc plus de travail, résume Jean-Noël Depeyrot. Mieux vaut alors distinguer les livreurs de lait des livreurs/transformateurs pour analyser plus finement l’emploi en élevage laitier. De plus, cette diversification est plus fréquente en zone de montagne, système herbager, agriculture biologique et production sous signes officiels de qualité. C’est pourquoi nous avons croisé tous ces critères pour faire la part des choses entre eux. »

L’herbe favorise l’emploi

En d’autres termes, un modèle économétrique a été développé, adapté au décompte des UTA (unité de travail annuel) et liant l’emploi au volume de lait produit. En plus de croiser les paramètres ci-dessus, il mesure leurs effets cumulatifs et les résultats seront significatifs grâce à la base Adel(1) regroupant 54 200 exploitations sur les 62 000 présentes sur le territoire.

Principales conclusions : toutes choses égales par ailleurs, pour une exploitation type de 300 000 l de lait en activité livraison seulement et sans autres signes officiels de qualité que l’agriculture biologique potentiellement.

Remarque préalable : la productivité volumique a augmenté dans tous les systèmes, du plus herbager à celui utilisant les plus de maïs ensilage, mais les écarts demeurent importants, notamment entre les deux extrêmes.

  • Plus d’emplois pour un même volume de lait en zone de montagne, système herbager et agriculture biologique.

1,6 ETP en moyenne en plaine, production non herbagère et conventionnelle.

+ 6 % d’emplois en zone montagne (+ 5,86 %) et système herbager (+ 6,25 %).

  • Des effets cumulatifs

Entre zone de montagne et système herbager (en conventionnel) : + 9,7 % d’ETP

Entre système herbager et bio (en plaine) : + 16,5 % d’ETP

Entre zone de montagne, système herbager et bio : + 20,5 % d’ETP

  • Un impact limité de la taille des élevages

« L’économie de main-d’œuvre dans les grandes exploitations s’explique davantage par les pratiques mises en place pour alléger le travail que par un effet d’échelle. »

Les pratiques pour alléger le travail jouent davantage.

« Par conséquent, le soutien à l’agriculture biologique et à la production herbagère peut influer indirectement sur le volume d’emploi, fait remarquer Jean-Noël Depeyrot. Certes la productivité volumique est inférieure (moins de lait/exploitant), mais la productivité économique est supérieure. La valeur ajoutée au litre de lait est plus élevée grâce à une meilleure valorisation en bio et aux charges, variables comme fixes, moindres en système herbager, avec le recours au pâturage qui limite l’entretien des bâtiments et l’affouragement du troupeau, ce qui réduit en outre l’astreinte. »

Un élevage écologiquement intensif, au sens de l’emploi, grâce à une utilisation massive de l’herbe.

« C’est ce qui permet d’avoir plus d’ETP, poursuit-il. On est dans une agriculture écologiquement intensive, sans connotation politique, mais au sens de l’économie et de l’emploi, avec derrière une production et une utilisation intensive de l’herbe. Ce phénomène est à l’œuvre, fonctionne mais ne concerne qu’une partie des exploitations. Ces différentes tendances avaient déjà été observées mais l’étude Actif’Agri les confirme statistiquement. »  

(1) La base Adel est issue d’un appariement de données sur les exploitations laitières dans le but d’avoir des chiffres et des informations annuels permettant de suivre plus finement leur restructuration (ampleur et vitesse) car les enquêtes « structures » et les recensements agricoles sont trop espacés. 

Sur les références laitières connues, différentes sources ont été greffées : les surfaces et cultures (données de la Pac : registre parcellaire graphique et Agence des services de paiements), les effectifs des cheptels (déclarations et identifications des animaux : BDNI et DGAL), la main d’œuvre salariée et non salariée (MSA), certification bio et signes officiels de qualité (Agence bio, Inao).

Source : 2e webinaire Actif’Agri sur l’emploi en agriculture, en lien avec les performances environnementales.