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Financement des start-ups alimentaires

L’Europe encore en rodage


AFP le 23/10/2018 à 17:40

Quelques champions, des levées de fonds qui se multiplient : les professionnels veulent croire à une prise de conscience en Europe de l'intérêt stratégique d'investir dans les jeunes pousses de l'innovation alimentaire, même si les moyens déployés restent un peu à la traîne comparé aux États-Unis.

Alors que la part de l’agroalimentaire européen s’élève à 25 % du marché mondial, les pays de l’Union n’ont attiré que 16 % des investissements mondiaux dans la « Foodtech » entre 2014 et 2017, selon une étude de Digital Food Lab, société de conseil pour les entreprises agroalimentaires. « Il y a une forme de retard, si on compare ces deux chiffres », a relevé Matthieu Vincent, auteur de cette étude, lors d’un débat au Salon international de l’alimentation (Sial). Il pointe un écart substantiel avec les sommes qui circulent aux États-Unis, citant notamment le rachat pour 15 milliards de dollars par le géant américain de la distribution Walmart de Flipkart, numéro un en Inde du commerce en ligne.

L’étude de Digital Food Lab, financée notamment par l’agence de communication spécialisée Sopexa et la Chambre de commerce d’Ile-de-France ; classe la France de loin en tête en Europe en termes de nombre de levées de fonds. Elle est en revanche nettement en retrait dès qu’il s’agit de permettre à ses jeunes pousses de changer d’échelle par rapport à ses voisins allemand et britannique. Entre 2014 et le premier semestre de 2018, l’Europe a généré 433 levées de fonds supérieures à 500 000 euros, dont 176 en France. Mais sur la même période, des entreprises françaises ont obtenu des levées de fonds supérieures à 20 millions d’euros à seulement trois reprises, contre huit pour le Royaume-Uni et 14 pour l’Allemagne. L’une des explications réside dans la présence en Allemagne et au Royaume-Uni de trois champions du commerce en ligne alimentaire, les start-ups Delivery Hero, Hello Fresh et Deliveroo. Elles ont drainé à elles trois 60 % des investissements ces dernières années, soit 2,5 milliards d’euros, leur permettant de figurer parmi les leaders mondiaux du secteur. Mais à en croire les acteurs du marché, il s’agit de l’arbre qui cache la forêt, notamment car les moyens financiers diffèrent des deux côtés de l’Atlantique.

Les fonds américains au coin du bois

« Un fond français de capital-risque qui marche bien, c’est 20 millions d’euros », quand certains fonds américains gèrent 5, voire 10 milliards d’euros d’actifs, remarque Sébastien Worms, co-fondateur de Vitaline, une start-up qui fabrique des repas à boire. Autre explication possible pour le retard européen et notamment français, « le tribut de l’héritage de la gastronomie française, qui freine un peu les mentalités », estime Hugo Lercher, responsable communication d’Algama, qui expose fièrement au Sial ses mayonnaises à base de micro-algues. Il souligne toutefois que de grands chefs comme Thierry Marx et Alain Ducasse « ont ouvert la porte aux protéines végétales ». « Les industriels regardent un peu de haut les start-ups et n’ont pas encore conscience du danger qu’elles représentent pour eux, mais c’est en train de changer », estime Matthieu Vincent. « On a moins de capital qu’en Californie, mais on voit de plus en plus d’investisseurs », assure-t-il. Et parmi eux, « même des Américains, qui commencent à venir voir ce qui se fait en Europe ». « Aujourd’hui, on monte une start-up avec moins d’argent en Europe », souligne Matthieu Vincent. Il explique que développeurs informatiques comme ingénieurs « sont beaucoup moins chers en Europe qu’aux États-Unis », où la compétition acharnée entre start-ups fait grimper les salaires.

En Allemagne, l’incubateur Rocket Internet est à la base du succès de Hello Fresh, société de kits de repas à domicile, inspirée de Blue Apron, une société américaine qui a perdu sa place de leader sur le marché américain au profit de cette société allemande. « Ils ont compris que pour les start-ups alimentaires, on a deux à trois ans de retard par rapport aux États-Unis et que ce qui a marché là-bas peut marcher ici », estime Matthieu Vincent. Le Royaume-Uni bénéficie pour sa part de la présence sur son sol d’investisseurs américains et d’un cadre fiscal favorable aux business angels, selon lui. Mais l’Europe ne réduira l’écart que « si elle arrive à accompagner les start-ups à l’international. Si on ne fait que bâtir des champions continentaux, on ne sera pas à la bonne échelle», conclut Matthieu Vincent.