Les vins en amphore se répandent, du trois étoiles à la bouteille entre copains


AFP le 22/05/2025 à 10:52

Phénomène de niche il y a une dizaine d'années, la vinification en amphore est désormais installée dans le paysage, à l'exemple des vignobles du Sud-Est d'où sortent désormais des flacons pour les tables trois étoiles mais aussi des vins de copains à moins de 10 euros.

Sur les 16 hectares de leur domaine de la Combe au Mas, au pied du mont Ventoux à Mormoiron (Vaucluse), Thomas Ayoun, 36 ans, et sa compagne Marie-Sophie Jullien, 34 ans, produisent ainsi 11 cuvées dans une douzaine d’immenses « tinajas » (jarres en espagnol) centenaires, d’une contenance de 18 à 30 hectolitres, rachetées à un domaine viticole désaffecté en Espagne.

« Ce qu’on cherchait, c’était la cohérence », explique le vigneron. L’élevage en amphore, qui assure une « micro-oxygénation » sans le boisé d’un passage en tonneau, va « arrondir les tanins, rendre le vin plus souple ». Et préserver l’identité d’un terroir qui produit des vins « légers et sur le fruit » grâce à la fraîcheur de la montagne toute proche.

L’amphore « ne joue pas sur le degré d’alcool mais sur la buvabilité », avec « des vins à l’image des goûts des nouvelles générations, à notre image, plus frais, plus souples, plus francs », poursuit-il.

Mais si « l’expression vin en amphore marque encore les esprits », Thomas Ayoun n’en attend pas « une spéculation ». « L’idée, c’est de faire le vin le meilleur possible et que tout le monde puisse se l’offrir. Avoir une gamme de vins à moins de 10 euros, pour moi, c’était quelque chose d’important », souligne-t-il.

Avec une clientèle de cavistes et restaurateurs et une part d’exportation, notamment aux Etats-Unis, il compte sur la « philosophie » du domaine – vin nature, production bio et bientôt en biodynamie – pour assurer les ventes et « avoir économiquement les moyens de tourner ».

Une autre interprétation de cépages endémiques

Dans le Var, le domaine de la Tour du Bon est lui déjà bien installé, avec ses 17 hectares au cœur de la prestigieuse appellation Bandol. Agnès Henry, la propriétaire, consacre une petite part de sa production à une cuvée en « tinajas » de 450 litres. Un vin qui ne peut prétendre à l’AOC, qui stipule qu’un bandol rouge doit être élevé 18 mois en fût et contenir au plus 95 % de cépage mourvèdre.

Sa cuvée en amphore, lancée en 2012 et baptisée « En sol », est un 100 % mourvèdre : « Par rapport à des Bandol qui passent longtemps dans du bois et sont davantage orientés par cette matière, c’est une autre interprétation du cépage endémique ».

Interprétation qui a trouvé sa place à La table du Castellet, trois étoiles Michelin tout proche, dont le chef sommelier Jonathan Pral vante une vinification qui permet de « retrouver l’état originel du mourvèdre, sans artifice, beaucoup plus élégant et floral ».

Une alternative à proposer « aux clients qui nous disent : « on ne veut pas d’un vin du coin », en nous parlant des Bandol comme des vins puissants, tanniques et rustiques ». Et que le sommelier pourra suggérer avec « des rougets, des poissons qui ont des chairs plus goûtues, presque des goûts de gibier. Ces rouges ont leur place à ce moment-là pour remplacer le blanc ».

Low tech

Justine Vigne, « et c’est mon vrai nom », sourit-elle, cultive quatre petits hectares et demi de vigne à Richerenches (Vaucluse). Des raisins qu’elle vinifie notamment dans quatre « kvevri », jarres venues de Géorgie, pays où ont été retrouvées les plus anciennes traces d’activité viticole, remontant à 6 000 ans.

Kvevri que la vigneronne de 36 ans a enterrées jusqu’au col, selon la tradition géorgienne, découverte par hasard « alors que je cherchais déjà des amphores pour m’installer ». « C’est très « low tech » comme façon de faire, puisqu’on bénéficie de l’inertie de la terre pour préserver la basse température de la fermentation, qui est du coup très douce et très longue ».

Et de s’enthousiasmer du résultat. « On arrive à avoir une palette aromatique assez originale et propre à la kvevri. (…) C’est hyper original au niveau aromatique et sur la matière. Il y a une signature ». Signature qui l’a conduite jusque sur la carte du « bistrot André » de la cheffe étoilée Anne-Sophie Pic à Valence.