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Négociations commerciales

Les raisons d’un état de tension permanent


AFP le 09/03/2021 à 10:18
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Les négociations commerciales qui établissant chaque année les prix des produits vendus en grande surface, sont le théâtre de tensions récurrentes entre agriculteurs, industriels de l'agroalimentaire et supermarchés. Quelles en sont les raisons, et pourquoi certains appellent-ils à « changer les règles du jeu » ? Quels sont les produits concernés ? Ces négociations annuelles concernent beaucoup de produits agricoles, mais pas uniquement : chaque année, « plusieurs milliers » d'accords sont conclus, sur le prix de vente des petits pois, du steak haché, du Coca-Cola ou du papier toilette.

Précision importante : les négociations annuelles ne portent que sur les grandes marques dites « nationales » comme Danone, très fortes en France. Les marques de distributeurs, créées ou détenues par les supermarchés (Marque Carrefour ou Casino, Marque Repère de E. Leclerc par exemple), ne sont pas concernées.

Quelle place pour les produits agricoles français dans ces négociations ?

Richard Panquiault, directeur général d’une organisation représentant de nombreux industriels vendant sous marque nationale (l’Ilec, ou Institut de liaisons des industries de consommation), explique que sur les 42 milliards d’euros de chiffre d’affaires de ses adhérents concernés par les négociations, un peu moins de 25 milliards « ont un rapport avec les filières agricoles françaises, dont environ 5 (milliards) pour le lait ».

En quoi le fonctionnement actuel des négociations pose problème ?

Le directeur exécutif des Achats de Lidl France, Michel Biero, l’assure : la France est le « seul pays au monde » où l’on négocie ces produits en ne parlant « à aucun moment du coût de la matière première ». Le prix est de facto fixé par les négociations entre les distributeurs et les industriels – indépendamment de ce que les agriculteurs demandent. Le rapport de force est inégal, avec « d’un côté des organisations et producteurs agricoles assez dispersés, dans de nombreuses exploitations, et en face d’eux une grande distribution relativement concentrée », souligne Dan Roskis, avocat spécialisé en droit de la concurrence et de la distribution au Cabinet Eversheds Sutherland.

La loi de Modernisation de l’économie (LME) de 2008 « impose aux distributeurs de négocier les produits de marque nationale à partir d’un tarif général, sur lequel on va ensuite appliquer des remises en fonction des services rendus », rappelle M. Biero. Ces « services » peuvent être la présence en tête de gondoles, des promotions entendues à la radio, des services logistiques… La centrale qui orchestre les achats d’un distributeur les négocie « en contrepartie de réductions sur le prix d’achat des produits », explique Dan Roskis. Le système incite au poker menteur : les industriels, anticipant des demandes de remises fortes des distributeurs, vont avoir tendance à gonfler le prix annoncé, tandis que les distributeurs, soupçonnant leurs interlocuteurs d’exagérer les coûts, vont tout faire pour faire baisser l’addition.

La loi LME « avait pour objectif de faire baisser les prix » pour les consommateurs, explique Serge Papin, ancien dirigeant de Système U devenu « médiateur » entre les différents acteurs des négociations commerciales. « Sauf que c’est l’agriculture qui supporte majoritairement cette baisse. »

Quel effet a eu la loi Alimentation ?

La loi Alimentation (dite « Egalim » et adoptée en 2018) s’était fixée pour ambition de casser ce cercle vicieux et de permettre aux producteurs de mieux fixer leurs prix en fonction de leurs coûts. La loi prévoyait d’encadrer plus fortement les promotions et de relever le seuil de revente à perte en grandes surfaces. Promesse non tenue, estiment l’ensemble des acteurs.

« Le moment est venu de changer les règles du jeu », dit Serge Papin : il préconise « la sortie du système de négociations annuelles, au bénéfice de contractualisations pluriannuelles » qui stipuleraient le prix des matières premières agricoles, en tenant compte des coûts de production.

Le ministre de l’agriculture Julien Denormandie entend réunir les représentants de chaque secteur « à partir de la fin mars » pour étudier la faisabilité de ces mesures. Faute d’accord, il a agité la menace d’une nouvelle loi, même si le calendrier législatif est très encombré d’ici à 2022.