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L’élevage français et la crainte de s’écrouler « comme un château de cartes »


AFP le 14/09/2023 à 14:07

« On ne veut pas vivre ce qu'a vécu le textile » : le monde de l'élevage, réuni jusqu'à jeudi à Rennes, s'inquiète devant le recul de la production française de lait, de viande ou d'œufs, et craint des fermetures d'entreprises en cascade.

Dans les allées du salon international des productions animales (Space), près de Rennes, l’écosystème de l’élevage (coopératives, équipementiers, fabricants d’aliments pour animaux, conseillers techniques…) a un terme jargonneux pour qualifier sa crise existentielle : « décapitalisation », autrement dit la baisse du nombre de têtes.

La contraction du cheptel « atteint des niveaux tels que la production recule, que ce soit au niveau de la collecte de lait (en baisse de 4,7 % début 2023 par rapport à la moyenne quinquennale) ou des abattages (volumes en repli de 4 % entre 2021 et 2022 pour les bovins) », soulignent les chambres d’agriculture. Or cette baisse de production menace la pérennité des abattoirs et laiteries.

« On est en train de changer de monde, la ressource laitière va devenir un vrai sujet » à mesure que l’offre recule, « cela entraînera une restructuration » donc des « fermetures d’entreprises » et « des territoires qui se vident », anticipe Pascal Le Brun, éleveur normand et président de l’organisation qui défend les intérêts des coopératives laitières.

Pour la viande bovine, « ça me semble terriblement mal engagé et je ne sais pas comment on va pouvoir arrêter l’hémorragie », déclarait la semaine dernière Jean-Paul Bigard, patron du groupe du même nom (marques Charal, Bigard, notamment), leader français de la transformation du bœuf et du porc.

A son congrès, le syndicat des entreprises d’abattage-découpe Culture Viande assumait parallèlement sa « part de responsabilité » dans la baisse du cheptel – les prix d’achat ont longuement été insuffisamment rémunérateurs pour les éleveurs bovins.

Le risque, c’est « que tout tombe comme un château de cartes », relève auprès de l’AFP Jean-Michel Schaeffer, éleveur de poulets plein air en Alsace et président de l’interprofession de la volaille Anvol.

Mathieu Courgeau constate la « crispation » et la « peur » des acteurs face à l’ébranlement du modèle actuel. « Ils n’arrivent pas à trouver du monde pour monter des porcheries, des poulaillers », observe cet éleveur laitier de Vendée et coprésident du collectif Nourrir, qui rassemble une cinquantaine d’organisations (Greenpeace, Confédération paysanne, Action contre la faim…) pour une refonte du système agricole et alimentaire.

« C’est pas foutu »

La profession tente de développer un discours moins lugubre pour susciter des vocations alors que la population agricole vieillit. Un éleveur laitier sur deux partira à la retraite dans les dix ans à venir.

« La filière a un peu de complexes à dire que les choses vont bien, mais oui, la filière va mieux », dit Marie-Andrée Luherne, productrice de lait à la tête de la section morbihannaise du syndicat majoritaire FNSEA. « Mes trois fils sont installés avec moi, on a des responsabilités de chef d’entreprise, on travaille dehors (…) avec un lien au vivant », fait-elle valoir.

« Il faut qu’on ait des entreprises qui envoient le message qu’on croit en l’élevage. (…) On ne veut pas vivre en élevage ce qu’on a vécu dans le textile avec la fuite vers la Chine », défend Philippe Manry, directeur général du leader français de l’alimentation des animaux d’élevage Sanders (groupe Avril).

Des « passionnés » pourraient être dissuadés de devenir éleveurs à force d’entendre que « l’élevage c’est foutu » alors que « ce n’est pas le cas », insiste le dirigeant.

Dressant un parallèle avec le manque d’enseignants et de soignants, le président de la coopérative bretonne du Gouessant Thomas Couëpel plaide pour « qu’on transforme un métier difficile, ingrat, mal payé en métier facile, gratifiant et bien payé, et alors il y aura du monde ».

Pour cela, estime-t-il, il faudra des projets d’exploitation « viables », souvent « de taille industrielle » pour servir les besoins des Français et faciliter la vie des éleveurs: un grand élevage génère davantage de revenu, permet de travailler à plusieurs et de réduire les astreintes.

La France reste pour l’heure le premier producteur de viande bovine de l’UE, le deuxième pour le lait et le troisième pour le porc. Le pays se maintient aussi sur le podium pour les œufs, même si la production a reculé avec la grippe aviaire.