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Agence sanitaire ou gouvernement ?

Le flou sur le pouvoir d’autorisation des produits phytos


AFP le 26/02/2024 à 18:25
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Qui gérera les autorisations de mise sur le marché des phytos demain ? (© TNC)

Qui aura demain le pouvoir de décider de l'autorisation d'un produit phyto en France ? Ce rôle, dévolu à l'agence sanitaire Anses, est contesté par le syndicat agricole majoritaire et l'Elysée parle d'une simple « volonté d'harmonisation » au niveau européen après des déclarations imprécises du président.

Reprendre « le pouvoir » pour harmoniser

Avant même la crise agricole, le ministre de l’agriculture Marc Fesneau a prévenu qu’il n’abandonnerait pas « des décisions stratégiques » pour la souveraineté alimentaire « à la seule appréciation d’une agence ». La FNSEA demande quant à elle qu’une « décision politique s’applique » et prime sur les « organismes scientifiques ».

Au Salon de l’agriculture, Emmanuel Macron a répété vouloir éviter qu’un pesticide soit interdit en France avant le reste de l’Union européenne, pour ne pas créer de distorsions de concurrence.

Or les décisions de l’Anses, mandatée pour évaluer les pesticides et autoriser ou non leur mise sur le marché, « s’imposent à l’administration ». Ces dernières années, plusieurs pesticides, comme l’herbicide S-métolachlore ou certains néonicotinoïdes, ont ainsi été interdits en France alors qu’ils restaient autorisés chez ses voisins européens.

« Donc, on reprend le pouvoir en disant « On le fait au niveau européen » », a déclaré samedi le chef de l’Etat. Interrogé, l’Elysée affirme lundi qu’« il n’y a pas de remise en cause de l’indépendance de l’Anses ». « C’est simplement une volonté d’harmoniser au niveau européen la manière dont les choses se font pour éviter des surtranspositions par le biais d’études qui seraient faites en avance de phase par l’Anses et qui nuiraient à la compétitivité des agriculteurs français », a-t-on ajouté de même source.

« Rien de nouveau » pour l’Anses « en l’état »

L’Anses ne voit là « rien de nouveau », l’exécutif ayant déjà évoqué son souhait « d’harmonisation des calendriers ». Actuellement, « les autorisations de mise sur le marché (AMM) sont placées à l’agence et donc seule une nouvelle étape politique ferait que ces AMM seraient retirées à l’agence et replacées dans un autre type d’organisation.

Pour l’instant on n’a pas d’élément qui nous ferait penser que c’est le choix du gouvernement », a déclaré M. Vallet.

Si le fonctionnement de l’agence ne change pas, le gouvernement pourrait-il la contourner pour décider d’une autorisation contre son avis ? « Quand la décision de mise sur le marché (relevait du) gouvernement avant 2015, elle s’appuyait de toutes les façons sur des évaluations de l’Anses », qui tiennent compte des risques pour la santé et l’environnement, a souligné Charlotte Grastilleur, directrice générale déléguée de l’Anses. Elle ne voit pas comment pourrait être décidé d’une AMM « avec une évaluation défavorable et un produit qui ne répond pas aux critères légaux ».

Toutefois, il est arrivé que le gouvernement autorise, par le biais de dérogations de 120 jours, des produits interdits comme des néonicotinoïdes pour les betteraves à sucre.

Une « ambiguïté » de mauvais augure

« Il y une part d’ambiguïté dans la déclaration d’Emmanuel Macron qui peut semer le doute », avec des risques de « remise en cause » : notamment « celle du respect de l’autorité scientifique dans une démocratie moderne » et « de la loi de 2014 qui avait apporté de la clarté dans le débat public » en confiant à l’Anses la charge des autorisations sur le marché, a déclaré à l’AFP le député socialiste Dominique Potier.

L’élu, qui défend régulièrement l’Anses et a conclu récemment une commission d’enquête parlementaire sur les pesticides, voit dans les positions du gouvernement « une entreprise précise et minutieuse de destruction du plan [de réduction des pesticides] Ecophyto, avec une mise en cause insidieuse de l’autorité scientifique ».

« La commission d’enquête a montré que le seul moteur efficace de la dernière décennie, ça a été l’Anses et sa capacité d’expertise. Si nous touchons à cette institution, c’est tout l’effort déjà largement insuffisant de réduction des pesticides qui est menacé », a-t-il estimé.

Pour la députée écologiste Lisa Belluco, « il y a vraiment une volonté de reprise en main politique de toutes (les) agences (Anses, Ademe etc.), de nier des arguments scientifiques ».