L’agrivoltaïsme suscite autant de craintes que d’intérêt
TNC le 28/11/2023 à 08:00
Grand écart entre la rémunération énergétique et la rentabilité agricole, partage de la valeur, impacts sur le marché du foncier : l’agrivoltaïsme suscite de nombreuses craintes sur de possibles dérives qui, faute d’encadrement suffisant, pourraient modifier le paysage agricole local, si ce n’est réduire la production agricole à un simple alibi.
Défini par la loi sur le développement des énergies renouvelables du 10 mars 2023, l’agrivoltaïsme semble susciter beaucoup d’intérêt chez les agriculteurs. Selon un sondage en ligne réalisé en septembre dernier sur Terre-net.fr auprès de 1 340 votants, 38 % d’entre eux estiment qu’il s’agit d’une « bonne piste de diversification », quand 40 % s’affichent intéressés « à condition de ne pas impacter la production agricole ». Seulement 22 % considèrent qu’une « exploitation doit produire exclusivement de l’alimentation ».
L’agrivoltaïsme constitue aussi un enjeu majeur pour les énergéticiens. « Si l’on souhaite atteindre l’objectif d’une production française de 100 GW d’énergie photovoltaïque d’ici 2050, pour moitié sur toiture et l’autre moitié au sol, il faudrait développer des projets photovoltaïques sur une surface représentant 0,5 % à 1 % de la SAU », a rappelé Thibault Veyssière-Pomot, directeur de zone Grand Ouest d’EDF Renouvelables, lors d’une table ronde sur l’agrivoltaïsme aux dernières Assises de l’agriculture, le 15 novembre dernier à Saint-Brieuc. Il faudrait donc déployer des projets agrivoltaïques sur environ 250 000 ha dans les 27 ans à venir.
Une perspective à laquelle s’oppose farouchement la Confédération paysanne. « Alors qu’on nous parle d’enjeux de souveraineté alimentaire, il n’est pas question de mettre en compétition la production alimentaire avec une production énergétique sur les terres agricoles. Commencez par couvrir toutes les toitures de bâtiments industriels et commerciaux ! », a martelé Jean-Marc Thomas, éleveur de vaches allaitantes dans les Côtes-d’Armor et porte-parole régional du syndicat en Bretagne à cette même table ronde.
La taille des projets en débat
À côté de lui, Yoann Bizet s’apprête à voir raccordés, sur sa ferme laitière de Saint-Ouen-des-Besaces, dans le Calvados, les 3 hectares d’ombrière photovoltaïque que le groupe TSE vient d’installer. « Mon objectif est de redonner du confort au pâturage pour mon troupeau laitier pendant les périodes de fortes chaleurs. » L’installation est assez semblable à la « canopée » récemment inaugurée par TSE sur une exploitation céréalière de la Somme.
« Seulement un tiers de mon troupeau pourra aller sous les panneaux, les autres vaches pâtureront sur les 6 ha attenants et non couverts. L’Idele supervisera l’expérimentation de manière indépendante, pour voir si l’ombrière a un impact sur le troupeau test et sa production. »
L’agriculteur, qui percevra un loyer de l’ordre de 2 000 € par hectare pendant les 40 ans du bail emphytéotique qu’il a signé avec l’opérateur, n’est pas aussi catégorique que le représentant de la Confédération paysanne. Mais il est bien conscient des risques que peuvent susciter des projets trop grands sur le foncier, localement, et aussi sur l’intérêt de maintenir une production agricole dégageant une rentabilité à l’hectare sans commune mesure avec les loyers proposés par les énergéticiens. « C’est sûr que, sur de trop grandes surfaces, et avec des montants de loyers de 2 000 € si ce n’est plus, certains seront tentés de délaisser l’activité agricole. »
« Signer des baux emphytéotiques de 40 ans sur des dizaines d’hectares, ça revient à donner les clés de votre exploitation à un énergéticien », alerte encore Jean-Marc Thomas. « C’est pour cela que je souhaite que les projets agrivoltaïques restent d’une taille limitée par rapport à la taille de l’exploitation », lui répond Yoann Bizet.
Un décret insuffisant pour éviter les dérives ?
Le grand écart de rémunération et la déstabilisation du marché du foncier agricole reste au cœur du débat. Et, à en croire les dernières versions du projet de décret, rien ne semble prévu pour éviter les dérives. Pour s’assurer que l’activité agricole reste « principale » et « significative », le texte fixera bien différents critères : un taux maximum de couverture photovoltaïque de la parcelle – 40 % selon les derniers pourparlers, une surface inexploitable du fait des installations photovoltaïques limitée à 10 % de la surface concernée, une perte de rendement moyen inférieure à 15 % par rapport à la moyenne du rendement observé sur une zone témoin – qui sera obligatoire – ou, par dérogation, par rapport à un référentiel local.
L’encadrement de la taille des projets d’installation reviendrait finalement au préfet. Le projet de décret le chargerait d’établir un document-cadre, sur proposition des chambres d’agriculture et en concertation avec la CDPenaf (Commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers), les collectivités et les organisations professionnelles.
À l’échelle d’un territoire, se pose aussi la question du partage de la valeur. « Certaines exploitations pourront accueillir des projets agrivoltaïques quand d’autres, juste à côté, n’en auront pas l’opportunité », admet Christophe Richardot, directeur de Alliance BFC. Mais cette union coopérative, qui accompagne les adhérents de Dijon Céréales, Bourgogne du Sud et Terre Comtoise sur tous les enjeux de « transition », réfléchit aux moyens de partager la rémunération de l’énergie photovoltaïque entre tous les acteurs du territoire, y compris les exploitants qui ne pourront pas héberger des panneaux.
En attendant les précisions du décret, maintes fois reporté et désormais attendu début 2024, l’agrivoltaïsme se retrouve au cœur d’une dichotomie entre l’urgence de développer des énergies renouvelables pour atteindre les objectifs assignés par l’État – multiplier par 10 l’énergie solaire d’ici 2050 – et la nécessité de mener les expérimentations sur le « temps long » – plusieurs années culturales – pour s’assurer d’un impact minime sur l’activité agricole. Alors que la jeune Fédération française des producteurs agrivoltaïques représente déjà autour de 1000 projets à des stades plus ou moins avancés, les expérimentations, à l’instar de celles menées par TSE dans le Calvados et dans la Somme, ne font que commencer.