La mondialisation des échanges agricoles a-t-elle aggravé l’insécurité alimentaire ?
TNC le 30/07/2025 à 05:30
Alors que l’OMC fête ses trente ans, l’économiste Magali Catteau interroge : et si la libéralisation des marchés agricoles, au lieu de garantir l’abondance et la coopération internationale, avait renforcé les inégalités alimentaires ?
Trente ans après la création de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), le bilan de la mondialisation en matière de sécurité alimentaire apparaît bien éloigné des promesses initiales, estime Magali Catteau, chargée d’études économiques, dans une analyse publiée en juin dans la lettre économique de Chambres d’Agriculture France.
L’OMC, qui a succédé au GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) en 1995, portait l’idée que le libre-échange pacificierait les relations internationales. Via les Accords de Marrakech signés en 1994, l’intégration de l’agriculture dans les règles commerciales internationales visait à en finir avec les politiques agricoles protectionnistes des pays du Nord, notamment celles de l’UE, et de permettre aux pays en développement de participer pleinement à l’économie mondiale.
Mais plusieurs pays du Nord ont continué de soutenir leurs agricultures « sous des formes plus compatibles avec l’OMC ». Et loin de mener à « une prospérité partagée », la libéralisation des échanges agricoles a accru la fragilité des agricultures familiales, soumises à la concurrence internationale.
La mondialisation « fonctionne en réalité à travers un ensemble d’organismes de régulation, destinés à arbitrer les intérêts divergents, sans pour autant y parvenir », commente l’économiste. L’échec du cycle de négociations de Doha, entamé en 2001 et aujourd’hui dans l’impasse, illustre cette impuissance.
Persistance de l’insécurité alimentaire
Famine en Éthiopie, instabilité au Sahel, malnutrition chronique en Haïti, etc. : elle revient sur les crises alimentaires à répétition qui frappent depuis les années 70 certaines régions vulnérables ou instables du monde et qui illustrent la persistance de l’insécurité alimentaire, en particulier en Afrique.
Malgré des progrès entre 2000 et 2015, le nombre de personnes souffrant de la faim est reparti à la hausse en 2017 et atteint un tiers de la population mondiale depuis 2020.
Une résurgence notamment alimentée par « l’exacerbation des conflits armés » – environ 60 % des personnes souffrant d’insécurité alimentaire sévère vivent dans des zones en guerre, selon la FAO – et aggravée par les aléas climatiques extrêmes, qui peuvent avoir un impact dramatique dans des zones où la majeure partie de la population tire ses revenus de l’agriculture.
« La mondialisation aura eu pour effet de déréguler les marchés agricoles pourtant déjà instables par nature, écrit aussi Magali Catteau. Le choix stratégique de maintenir des prix bas à l’échelle mondiale, au lieu d’élever le niveau de vie des populations, a accru la dépendance des plus pauvres à un marché instable ».
Système alimentaire mondial « à deux vitesses »
Les crises récentes (crise financière de 2008, printemps arabes, pandémie de Covid, guerre en Ukraine) ont amplifié cette instabilité en perturbant les chaînes d’approvisionnement et en provoquant une envolée des prix agricoles : + 60 % pour les céréales, + 45 % pour les produits laitiers, + 19 % pour la viande, jusqu’à 125 % pour les huiles entre 2019 et 2022, selon la FAO.
Une inflation qui a lourdement frappé les pays les plus pauvres, où les consommateurs n’ont pas les moyens d’absorber ces chocs et où une crise économique peut vite se transformer en famine.
L’experte décrit un système alimentaire mondial aujourd’hui « profondément inégal » et qui fonctionne « à deux vitesses » : des pays du Nord qui promeuvent une alimentation saine et durable, des pays du Sud qui luttent pour accéder aux denrées de base.
D’un côté, une obésité croissante – surtout « chez les populations occidentales précaires exposées à des produits ultra-transformés », de l’autre une sous-nutrition persistante. D’un côté, un gaspillage massif (39 % de la consommation en Europe !), de l’autre 2,8 milliards de personnes qui « n’ont pas les moyens de se payer le minimum nécessaire à une alimentation saine et nutritive ».
Récemment, les sanctions économiques prises par l’UE contre la Russie ou les annonces protectionnistes de Donald Trump viennent illustrer la montée en puissance de la géoéconomie, ajoute-t-elle. Géoéconomie « dont les effets se propagent jusque dans la situation alimentaire mondiale ».