La hausse du prix de l’énergie va changer le schéma de production des fermes d’élevage


TNC le 02/12/2025 à 05:18
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Pour le soin des animaux, comme leur affouragement, l'élevage est particulièrement dépendant de l'énergie. Une hausse de son coût pourrait bien conduire les éleveurs à repenser leur manière de travailler. (© Larisa AdobeStock)

Sur une ferme, le tracteur n’est pas le seul à consommer de l’énergie. Engrais, production de fourrage, traite, entretien du bâtiment : elle est partout ! Relativement bon marché, elle conditionne nos systèmes agricoles. Mais qu’en serait-il si son prix venait à gonfler ? L’Institut de l’élevage et Inrae proposent quelques pistes de réflexion.

Quand on parle énergie en élevage, on pense d’abord au tracteur. À son plein englouti en quelques jours en pleine saison d’ensilages. Puis, en grattant un peu, on ajoute l’électricité : le ronronnement de la machine à traire, le refroidissement du tank à lait.

Sauf que… d’après les données des réseaux d’élevage Inosys, ils ne comptent que pour 49 % de l’énergie nécessaire au fonctionnement d’une ferme laitière en agriculture conventionnelle. À peine la moitié.

Le reste ? Il se cache dans les intrants. On parle alors d’énergie « indirecte ». Et c’est la production de concentré qui fait grimper la note : 38 % de la consommation totale. Souvent produit hors de la ferme, sa culture n’en demeure pas moins énergivore.

Vient ensuite la fertilisation minérale des cultures fourragères, à hauteur de 13 %.

Au final, pour produire 1 000 litres de lait dans nos systèmes d’agriculture conventionnelle, compter 3 637 méga joules (MJ). L’équivalent d’un Paris-Madrid en voiture. Une petite voiture. En agriculture biologique, l’équation s’allège. Pas de fertilisation minérale, davantage de pâturage : 3 214 méga joules consommés sont nécessaires pour produire 1 000 litres de lait.

Du côté de la viande, produire 100 kg vif demande environ 3 269 MJ : un Orléans-Madrid en Clio.

L’énergie directe revient à 35 €/1 000 l

Mais l’énergie est loin d’être le gouffre qu’on imagine. Sur les fermes suivies par les réseaux Inosys, l’énergie directe revient à 35 € pour 1 000 litres de lait en 2024.

Lors du dernier Grand Angle lait, Thomas Gautier, chef de projet environnement et énergie à l’Institut de l’élevage a fait le calcul : « sur une ferme type de 77 vaches à 508 989 litres de lait, cela représente 16 800 € ».

Pourtant, la facture enfle doucement. Rien que sur le début des années 2020, les dépenses de notre ferme fictive ont grimpé de 6 500 €. L’électricité d’abord. Entre 2014 et 2024, « le tarif réglementé a bondi de 83 % », décrypte Thomas Gautier. Le GNR ensuite, avec une hausse notable 2022. « Le prix moyen est passé de 0,68 €/l sur la période 2014-2021, à 1,10 € ces trois dernières années ».

Comparée aux poids lourds des charges, comme la mécanisation ou le concentré, l’énergie reste une ligne discrète de la comptabilité. Mais elle progresse. Et il y a fort à parier qu’elle devienne un enjeu à l’avenir. Epuisement des ressources fossiles, réflexion autour des émissions de gaz à effet de serre, hausse des cours… Elle jouera très certainement un rôle dans la rentabilité des fermes de demain.

L’élevage particulièrement vulnérable à la hausse du coût de l’énergie

Autre constat : l’efficience énergétique de l’élevage n’est pas très bonne. En clair, l’énergie que l’on récupère par les produits animaux est inférieure à celle dépensée pour les obtenir.

Il faut 3 637 méga joules pour produire 1 000 litres de lait dans nos modèles actuels. Or côté consommateur, 1 000 litres de lait c’est 680 000 kilocalories, soit 2 845 MJ. Bref, la balance est négative.

Le problème, c’est que les animaux ne sont pas de très bons convertisseurs d’énergie… Au commencement, il y a la photosynthèse. C’est elle qui permet le développement de la matière organique. L’élevage a alors un rôle de convertisseur. Il transforme cette biomasse en lait ou en viande.

Mais bien entendu, la vache se sert au passage. Avant de produire, elle doit répondre à ses besoins métaboliques. Vivre en quelque sorte. Si bien que la part réservée à la production est faible. Pour 7 à 8 calories ingérées, une seule ressort sous forme de produit animal en élevage laitier. Des données mises en avant dans les travaux de Marc Benoît, chercheur à l’Inrae.

Dans ce contexte, « une augmentation importante du coût de l’énergie aura des effets démultipliés sur l’élevage par rapport aux grandes cultures », poursuit le chercheur. À l’occasion des Rencontre Recherche Ruminants, il parle même d’un nouveau « paradigme » à venir.

Le ruminant, un convertisseur d’énergie bien particulier

Mais cela ne veut pas dire qu’il faut arrêter de produire du lait ou de la viande. On ne mange pas seulement des calories, mais également des nutriments. Protéines, acides aminés, acides gras… L’être humain a un moteur complexe !

Les ruminants aussi d’une certaine manière. Grâce à leur rumen, ils convertissent en énergie de la biomasse que nous ne saurions pas valoriser. Ou beaucoup moins bien. Herbe, fourrages grossiers, feuilles, tiges : l’homme ne digère pas la cellulose.

Autrement dit, le rendement énergétique de la vache n’est pas spectaculaire, mais elle transforme une ressource inutilisable pour nous en nourriture.

Du potentiel pour la production d’énergie

Mais au-delà des pertes, il peut être intéressant de s’intéresser aux ressources. Les fermes d’élevages n’ont peut-être pas vocation à rester de simples consommatrices d’énergie. Elles peuvent aussi en produire.

Reprenons notre ferme fictive. Avec ses 77 vaches, elle consomme chaque année 101 000 kWh de fioul, et 33 500 kWh d’électricité. Mais elle a de la ressource : 10 km de haie entourent ses prairies. Chaque année, ces linéaires fournissement 150 mètres cubes apparent plaquette (MAP), soit 130 000 kWh d’énergie renouvelable. « L’équivalent de la totalité de la consommation de l’atelier laitier », remarque Thomas Gautier durant son exposé.

Sur le toit de l’étable, 500 mde panneaux solaires produisent à eux seuls de 100 000 kWh par an d’électricité. Un peu plus loin, derrière la fumière, une unité de méthanisation valorise les effluents. Avec 77 vaches, le potentiel est de 230 000 kWh en injection sur le réseau.

Au total, le potentiel de production d’énergie sur la structure approche les 560 000 kWh. De quoi couvrir ses besoins en énergie directe, et indirecte. Notre exploitation fictive bascule alors dans le club des fermes à énergie positive. Sans parler des revenus générés par l’excédent.

Sur la base de : 1 MJ = 0,022 l de GNR et 1 MJ et 10,4 kWh et 1 kcal = 0,004184 MJ