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Viticulture

Jusqu’à 160 M€ de l’État pour subventionner la distillation de crise


AFP le 07/02/2023 à 17:43

Transformer le vin en alcool pur pour vider les chais : l'État français est prêt à mobiliser cette année jusqu'à 160 millions d'euros de fonds publics pour subventionner la "distillation de crise" face à la surproduction de certains bassins viticoles. (Article mis à jour à 19 h 08)

Les appels à l’aide s’étaient fait de plus en plus pressants ces dernières semaines. Après une manifestation ayant rassemblé plusieurs centaines de personnes début décembre à Bordeaux, une centaine de vignerons s’étaient à nouveau mobilisés le 26 janvier devant la préfecture de Gironde, à l’appel des syndicats FNSEA et JA du département, pour interpeller le ministre de l’agriculture Marc Fesneau. « Allo Fesneau Bobo », « Fesneau, on en a ras le tonneau ! », clamaient des pancartes.

Ils réclamaient en particulier des subventions pour arracher les vignes excédentaires afin de réguler l’offre et permettre à des viticulteurs en bout de course d’envisager une reconversion. « Pour ces personnes-là, il faut réfléchir à une forme de plan social, à des solutions sur mesure », soulignait Vincent Bouges, président des Jeunes agriculteurs de Gironde. Dans le Bordelais, plus grand vignoble AOC de France, avec ses 110 000 hectares cultivés dont 85 % en rouge, les appellations les moins prestigieuses souffrent particulièrement de l’effondrement des prix et de la surproduction évaluée à un million d’hectolitres.

À l’issue d’une réunion avec les professionnels, le ministère de l’agriculture a annoncé lundi qu’il était prêt à mobiliser « un maximum de 160 millions d’euros en 2023 », pour moitié sur crédits nationaux, pour moitié sur fonds européens. Objectif : subventionner la destruction du vin excédentaire, qui sera transformé à partir de cet été en alcool pour l’industrie, la pharmacie ou les cosmétiques. La dernière campagne de « distillation de crise » remonte à 2020, pour aider les viticulteurs français à éliminer les surplus dus à la chute de consommation provoquée par la pandémie de Covid-19.*

« Il faudrait distiller entre 2,5 et 3 millions d’hectolitres »

Cette annonce « doit être complétée » pour atteindre 200 millions d’euros et distiller « entre 2,5 et 3 millions d’hectolitres », a réagi auprès de l’AFP Jérôme Despey, secrétaire général de la FNSEA et « M. vin » du syndicat agricole majoritaire. C’est « vraiment nécessaire au vu de la situation du marché », a-t-il ajouté, citant les difficultés des bassins de production de la Gironde, d’une partie de la vallée du Rhône et de certaines appellations du Languedoc.

La distillation « ne résoudra absolument pas la situation dans le Bordelais » avec « 24 mois de stockage dans les chais », a estimé lundi soir auprès de l’AFP Didier Cousiney, président du collectif « Viti 33 » (33 pour le département de la Gironde). « Ça va faire un peu de beurre dans les épinards, quelques milliers d’euros pour tenir deux, trois mois de plus mais c’est tout », a déclaré à l’AFP son président Didier Cousiney. « Les 160 millions, c’est pour toute la France, on ne sait pas combien on va distiller dans le Bordelais, combien dans le Languedoc-Roussillon et les autres régions, ainsi que le montant de l’hectolitre », a-t-il ajouté.

Le collectif réclame l’arrachage d’au moins 15 000 hectares de vignes, avec une prime de 10 000 euros par hectare. Pour débloquer des aides à l’arrachage, les viticulteurs comptent sur un programme de lutte contre la maladie de la flavescence dorée, en mettant en avant les risques liés aux vignes laissées à l’abandon.

« Plan social massif »

Au-delà du Bordelais, la baisse de la consommation de vin (de « 130 litres par an par habitant il y a 70 ans » à « 40 litres désormais », observe Jérôme Despey) fait trembler l’ensemble de la filière viticole, qui emploie 500 000 personnes selon le Comité national des interprofessions des vins (CNIV). « Nous sommes convaincus que va s’amorcer un plan social massif dans notre filière : on craint entre 100 000 et 150 000 emplois menacés dans les dix ans à venir », s’était inquiété mi-décembre son président, Bernard Farges. Le vin souffre « trop souvent de campagnes de stigmatisation » sur ses
méfaits, ajoute Jérôme Despey, viticulteur dans l’Hérault.

Premières victimes : les vins tranquilles de grande consommation, dont les prix dégringolent. Les vins rouges enregistrent un recul des ventes de – 15 % dans les supermarchés en 2022. Les blancs et rosés vont mieux, avec un repli bien plus modéré (autour de – 3 ou – 4%). La profession entame donc sa remise en question : « Il faut conquérir de nouveaux consommateurs, travailler l’image du vin », esquisse Bernard Farges.

Alors dans le deuxième pays producteur de vin au monde, derrière l’Italie et talonné par l’Espagne, « à plus long terme »,« la filière doit aussi se projeter dans les nécessaires adaptations au changement climatique et à l’évolution des demandes du marché » intérieur et à l’exportation, où les pays rivaux sont de plus en plus agressifs, soulignait le ministère lundi.