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« Qui va nous nourrir ? »

Installer les Nima, un défi politique pour l’agriculture de demain


TNC le 30/04/2024 à 15:35
ameliePoinssot

Dans Qui va nous nourrir ? Amélie Poinssot s'interroge sur le renouvellement des générations agricole et la nécessité d'accompagner les Nima. (© Actes Sud / Pixabay)

Frappée par la baisse continue et quasiment silencieuse du nombre d’agriculteurs, la journaliste Amélie Poinssot est allée observer le phénomène sur le terrain. Si la « fin des paysans » prédite par Mendras ne s’est pas totalement concrétisée, le monde agricole fait face à des mutations importantes, comme l’illustre la part croissante de Nima, ces agriculteurs non issus du milieu agricole, que les politiques publiques accompagnent de façon insuffisante.

Spécialiste des questions agricoles à Médiapart, Amélie Poinssot publie les résultats de son enquête sur le renouveau paysan dans « Qui va nous nourrir ? », paru en février chez Actes Sud. Un travail motivé d’abord par un constat, celui de la baisse continue du nombre d’agriculteurs, sans prise de conscience dans le grand public, a-t-elle expliqué lors d’une rencontre organisée le 29 avril par l’Afja. Entre 2010 et 2020, le nombre d’exploitants agricoles a diminué de 18 %. Assiste-t-on, pour autant, à « la fin des paysans » décrite par le sociologue Henri Mendras dans les années 1960 ? Pour Amélie Poinssot, « les choses se sont confirmées en partie, mais ce monde paysan n’a pas complètement disparu ».

Le phénomène croissant des Nima

Et ce ne sont plus uniquement les fils et filles d’agriculteurs qui prendront la relève, puisque les « non issus du milieux agricoles », les Nima, constituent une part croissante et non négligeable des installations, jusqu’à devenir probablement majoritaires dans les années à venir, estime Amélie Poinssot.

Est-ce par méconnaissance du secteur que ces nouveaux profils se tournent vers une profession dont les enfants d’agriculteurs, eux, se détournent ? Ces aspirants paysans ont plus souvent une vision différente du métier, et « cherchent à pratiquer une agriculture plus respectueuse des écosystèmes », détaille la journaliste. Tandis qu’il peut s’avérer plus difficile, ou plus conflictuel, pour les fils et filles d’exploitants, de changer de modèle agricole en reprenant la ferme familiale.

Un accompagnement insuffisant

En revanche, les Nima se heurtent à davantage d’obstacles. Pour Amélie Poinssot, ils « ne sont pas suffisamment accompagnés, car ils ont besoin de plus de formation que ceux qui ont grandi dans une ferme, de plus de capitaux, d’aide pour trouver des terres, des fermes, il y a quelque chose à faire dans les politiques publiques, aujourd’hui ces dernières ne sont pas à la hauteur des enjeux », explique-t-elle. Or, « c’est pourtant une chance d’avoir cette population qui arrive dans le milieu agricole », compte tenu de la vague massive de départs à la retraite et face à la nécessité de la transition écologique, ajoute-t-elle.

Il y a néanmoins des solutions pour faciliter l’accès des Nima à la terre : au-delà du rachat simple, les foncières, les collectivités locales et différentes structures peuvent jouer un rôle important dans l’installation de ces nouveaux profils, tout comme certains des dispositifs mis en place par les communes. Amélie Poinssot illustre d’ailleurs cette palette d’outils par des témoignages de terrain.  « Les politiques ambitieuses des années 60 ont été très structurantes », preuve qu’il est possible de refaçonner en profondeur l’agriculture française, ajoute la journaliste. Mais aujourd’hui, « il n’y a pas de réponse politique à la hauteur des départs en retraite », déplore-t-elle, estimant également que la loi agricole actuellement en discussion au Parlement ne contient pas, à ce stade, de solutions ambitieuses face à cette question.

Des profils très variés

Les réponses à trouver seront d’autant plus diverses que les Nima ont des profils très variés : des étudiants, des gens qui bifurquent après 10 ou15 ans de vie professionnelle, voire plus tard, des gens qui sont passés par des difficultés professionnelles importantes et font face à perte de sens, à un épuisement à travailler dans les bureaux, et qui constituent « un profil très intéressant avec parfois un niveau très élevé de compétences, qu’ils peuvent transférer dans le domaine agricole », liste Amélie Poinssot.

A travers ces rencontres diverses, l’autrice entend attirer l’attention du grand public sur le sujet de renouvellement des générations agricole. « C’est important de toucher un grand public car de fait, de moins en moins de personnes sont issues du milieu, on a perdu le lien avec tout ça », explique-t-elle, rappelant que l’agriculture et l’alimentation constituent pourtant de véritables enjeux de société.